Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
Vom Netzwerk:
découvert à quoi j’en étais arrivé à ressembler,
j’ai décidé de consacrer une partie de mes modestes réserves d’eau à me laver. Je
me suis aussi disposé à allumer un feu dans l’un des poêles de cuisine encore
en état de marche, et d’y faire cuire le reste de mon avoine. Moi qui n’avais
rien mangé de chaud depuis près de quatre mois, je souffrirais moins du froid
avec un bol de bouillie dans le ventre. Mais pour ce bain et ce repas cuisiné, j’allais
devoir quitter ma tanière en plein jour, dérogeant à mon organisation
habituelle. Tant pis, me suis-je dit.
    J’étais déjà dans les escaliers quand j’ai aperçu des
soldats allemands sur l’autre trottoir, en train de s’activer sur la palissade
en bois qui entourait l’hôpital militaire. La perspective de la bouillie d’avoine
était devenue si obsédante que je n’ai pas fait machine arrière, cependant. J’avais
l’impression que j’allais m’évanouir si je ne me réchauffais pas tout de suite.
    À peine entré dans la pièce, j’ai entendu les bottes SS
gravir les marches. Je suis reparti à toutes jambes vers le grenier et… je leur
ai échappé ! Comme à leur habitude, ils se sont contentés de rôder un peu
sans monter jusqu’à mon perchoir. Le terrain à nouveau libre, je suis revenu à
la cuisine que j’avais choisie. En guise de combustible, je me suis mis à
tailler des copeaux de bois dans une porte à l’aide d’un couteau rouillé qui
traînait par là. Soudain, une écharde d’un bon centimètre s’est plantée sous l’ongle
de mon pouce droit. Malgré toutes mes tentatives, je n’ai pas réussi à l’extraire
tant elle était profondément enfoncée. Dans le contexte, cet incident mineur
était porteur de graves conséquences puisque je n’avais pas de désinfectant et
que les bactéries pullulaient au milieu de toute cette saleté. Même en
admettant que l’infection reste cantonnée à ce doigt et ne se répande pas dans
tout mon système sanguin, je risquais d’en garder un pouce déformé, ce qui
mettrait une fin définitive à ma carrière de pianiste. Toujours dans l’hypothèse
que je sois encore en vie quand la paix reviendrait, bien sûr. Je me suis
résigné à laisser passer un jour : si nécessaire, j’irais alors chercher l’écharde
sous l’ongle avec ma lame de rasoir.
    J’en étais à ce point de mes navrantes réflexions, les yeux
fixés sur ma main, quand j’ai à nouveau entendu des bruits de pas. J’ai battu
encore une fois en retraite vers le grenier. Trop tard : je me suis
retrouvé nez à nez avec un soldat armé d’un fusil. Sous son casque en acier, ses
traits étaient impassibles et ne respiraient pas l’intelligence.
    En réalité, il avait été aussi effrayé que moi par cette
soudaine rencontre dans un immeuble fantôme, mais il a cherché à se donner un
air menaçant et, dans un polonais très approximatif, m’a demandé ce que je
fabriquais là. Je lui ai répondu que j’étais l’un des habitants expulsés du
quartier, que je ne vivais plus ici mais que j’étais revenu chercher quelques
affaires. Ma seule apparence rendait cette explication tout à fait grotesque. L’Allemand
a braqué son fusil sur moi et m’a enjoint de le suivre. D’accord, ai-je
répliqué, mais alors il aurait ma mort sur la conscience, tandis que s’il
acceptait d’oublier ma présence je lui offrirais en retour un demi-litre de bon
alcool… Il s’est montré agréablement surpris par cette rançon inattendue , tout
en me laissant comprendre qu’il ne manquerait pas de revenir et que je devrais
encore lui trouver quelque spiritueux.
    Dès que j’ai été seul, je suis remonté en hâte au grenier, j’ai
retiré l’échelle et j’ai fermé la trappe. Ainsi que je m’y attendais, un quart
d’heure ne s’était pas écoulé qu’il revenait, accompagné cette fois de
plusieurs de ses camarades et d’un sous-officier. Quand les voix et les bruits
de pas se sont rapprochés, j’ai escaladé tant bien que mal le pan de toit resté
intact et je me suis couché dessus, les pieds contre la gouttière pour me
retenir sur la pente très inclinée, en priant pour qu’elle ne cède pas sous mon
poids. Elle a tenu et, au lieu de m’écraser dans la rue cinq étages plus bas, j’ai
pu constater que cette nouvelle idée, qui m’était venue en toute dernière
extrémité, signifiait que ma mort était encore retardée ; après avoir
inspecté tout l’immeuble et

Weitere Kostenlose Bücher