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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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aucun cas, puisque l’offensive soviétique était imminente.
    « Quoi, ici, à Varsovie ?
    — Oui !
    — Mais il y aura des combats rue par rue ! me suis-je
exclamé, pris d’effroi. Comment pourrais-je en réchapper ? »
    Il m’a contemplé gravement, cherchant la réponse la plus
appropriée.
    « Écoutez ! Si nous avons survécu à cet enfer
depuis déjà cinq ans, vous et moi, ce n’est pas par hasard. C’est parce que
Dieu veut que nous restions en vie. Ou à tout le moins… ou à tout le moins c’est
ce dont nous devons être convaincus ! C’est ce qu’il faut croire. »
    Nous nous étions déjà dit adieu et il allait partir lorsqu’une
idée m’est venue au tout dernier moment. Depuis longtemps je cherchais un moyen
de lui témoigner ma gratitude, sans trouver. Il avait catégoriquement refusé d’accepter
mon seul trésor, ma montre, que je lui avais offert de bon cœur.
    « Attendez ! Je lui ai pris la main et j’ai
continué d’une voix pressante : Je ne vous ai jamais dit mon nom et… vous
ne me l’avez pas demandé, mais maintenant je voudrais que vous le gardiez en
mémoire. Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Vous êtes encore très
loin de chez vous. Si je m’en sors, je recommencerai certainement à travailler
à la radio polonaise. Comme avant la guerre. S’il vous arrive quoi que ce soit,
si je peux vous aider d’une quelconque manière, retenez mon nom : Szpilman,
à Radio Pologne. »
    Il a eu ce sourire bien à lui, à la fois dubitatif et gêné, mais
j’ai senti qu’il était touché par mon souhait sincère d’être en mesure de l’aider
un jour, aussi naïf qu’il ait pu paraître dans ce contexte.
    Les grands froids sont arrivés à la mi-décembre. Dans la
nuit du 13, j’ai découvert que toutes les réserves d’eau que je connaissais
dans l’immeuble avaient gelé. Près de l’entrée de service, épargnée par les
flammes, j’ai trouvé une bouilloire et une casserole dont le contenu avait été
également transformé en bloc de glace. Revenu dans la soupente, j’ai gratté la
surface de la casserole mais les quelques copeaux glacés que j’ai posés sur ma
langue n’ont pas suffi à étancher ma soif. Alors j’ai eu recours à une autre
technique : couché sous l’édredon, j’ai posé l’ustensile sur mon ventre nu.
Après un moment, la glace s’est mise à fondre et j’ai obtenu de l’eau. Ce
procédé m’a encore servi les jours suivants, car le froid restait intense.
    Noël est venu, puis le nouvel an 1945, le sixième depuis le
début de la guerre et pour moi le pire. Il n’était pas question de fêter, même
humblement, le passage à une autre année. Je suis resté dans le noir, à écouter
le vent arriver en tempête sur la toiture, malmener les gouttières endommagées
qui pendaient encore des corniches, renverser les meubles dans les appartements
que les vitres ne protégeaient plus. Entre deux rafales de cette bise hivernale
qui hurlait à travers les ruines, j’entendais les souris et de gros rats
couiner et s’affairer dans le grenier ; ils se risquaient parfois sur mon
édredon et me couraient sur la figure pendant que je dormais, laissant la
marque de leurs griffes sur ma peau.
    Pour m’occuper l’esprit, j’ai repensé à tous les Noëls que j’avais
vécus, avant et pendant la guerre. Au début, j’avais un foyer, des parents, des
sœurs et un frère. Ensuite, nous avions perdu notre maison mais nous étions
restés ensemble, au moins. Puis je m’étais retrouvé seul, quoique au sein d’un
groupe. Et maintenant j’étais devenu sans doute l’être le plus esseulé au monde.
Même le héros de Defœ, Robinson Crusoé, cet archétype de la solitude humaine, avait
gardé l’espoir qu’un de ses semblables apparaisse, il s’était consolé en se
répétant que cela finirait par se produire et c’était ce qui l’avait maintenu
en vie. Alors que moi, il me suffisait de surprendre des pas pour être pris d’une
terreur mortelle et pour aller me cacher au plus vite. L’isolement absolu était
la condition de ma survie.
    Le 14 janvier, j’ai été réveillé par des bruits inhabituels
dans la rue et dans mon immeuble. Des automobiles s’arrêtaient, repartaient, des
soldats montaient et descendaient les escaliers en se hélant avec des voix
impatientes. Ils transportaient des fardeaux hors du bâtiment, certainement
pour les charger dans ces véhicules. Le lendemain, tôt dans la

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