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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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application cette
idée, il m’a demandé si j’avais de quoi manger. Je lui ai répondu que non. N’était-ce
pas lui qui m’avait interrompu dans mes recherches, après tout ?
    « D’accord, ne vous souciez pas de cela, s’est-il
empressé d’affirmer, comme s’il regrettait la surprise qu’il m’avait causée en
apparaissant dans la cuisine. Je vous apporterai des vivres. »
    C’est alors que je me suis enhardi jusqu’à poser à mon tour
une question, qui me brûlait la langue depuis trop longtemps.
    « Vous êtes allemand ? »
    Si je l’avais insulté, son visage n’aurait pas viré au rouge
plus soudainement. Il était tellement mal à l’aise qu’il ne contenait plus sa
voix lorsqu’il s’est écrié en retour :
    « Oui, oui ! Et honteux de l’être, après tout ce
qui s’est passé… »
    D’un geste sec, il m’a tendu la main et il m’a laissé là, interdit.
    Trois jours se sont écoulés avant qu’il revienne. Il faisait
déjà nuit noire quand j’ai entendu quelqu’un chuchoter sous ma cachette :
    « Hé, vous êtes là ?
    — Je suis là, oui. »
    Il y a eu un bruit sourd sur les planches. Quelque chose de lourd
venait d’atterrir près de moi. À tâtons, j’ai deviné la forme de plusieurs
pains enveloppés dans des journaux, ainsi qu’une masse molle que je n’ai pas
identifiée sur-le-champ mais qui s’est avérée être un sac de confiture en
papier huilé. Poussant de côté ce précieux paquet, je me suis penché vers le
vide :
    « Attendez !
    La voix qui montait des ténèbres était tendue, nerveuse.
    — Quoi donc ? Allons, dépêchez-vous ! Les
gardes m’ont vu entrer. Je ne peux pas m’attarder.
    — L’armée soviétique ? Où est-elle, maintenant ?
    — Ils ont déjà atteint Praga, de l’autre côté de la
Vistule. Pratiquement Varsovie. Il faut que vous teniez encore quelques
semaines. La guerre ne durera plus longtemps, maintenant. D’ici le printemps, au
plus tard… »
    Le silence est revenu, tellement pesant que je n’arrivais
pas à savoir si l’officier était toujours là ou s’il s’était esquivé comme il
était venu. Brusquement, il a repris la parole :
    « Vous devez tenir le coup, vous m’entendez ? »
    Cela sonnait presque comme un ordre mais j’ai compris que ce
ton péremptoire n’avait qu’un but : il voulait me manifester sa certitude
que la paix serait bientôt de retour pour chacun d’entre nous. Quelques
secondes plus tard, j’ai entendu la porte du grenier se refermer tout doucement.
    D’une monotonie implacable, les jours ont défilé. Vers le
fleuve, l’artillerie grondait de moins en moins souvent. Il pouvait s’écouler
vingt-quatre heures sans que je ne surprenne un seul départ de canon. Aujourd’hui
encore, je ne sais pas comment je n’aurais pas fini par renoncer à tout, en ces
temps sans espoir, et à me supprimer ainsi que je m’y étais déjà préparé tant
de fois, s’il n’y avait pas eu ces journaux dans lesquels l’Allemand avait
emballé le pain qu’il s’était risqué à m’apporter. Car elles contenaient les
toutes dernières nouvelles, ces feuilles froissées, et je ne me lassais pas de
les relire : la débâcle du Reich sur tous les fronts y était détaillée, et
l’avance irrésistible des Alliés.
    Ainsi que l’officier me l’avait appris, les équipes
logistiques étaient déjà à pied d’œuvre pour préparer l’installation de l’état-major
dans ces locaux. Les soldats allaient et venaient dans l’escalier, montant
souvent jusqu’au grenier afin d’y entreposer de lourdes caisses. Mais nous
avions judicieusement choisi ma cachette car personne ne notait l’existence de
cette soupente, apparemment… L’immeuble était pourtant maintenant soumis à une
surveillance permanente. J’entendais les gardes en faction arpenter le trottoir
jour et nuit, martelant le sol de leurs bottes pour empêcher leurs pieds de
geler. Cela ne m’empêchait pas de visiter les étages dévastés lorsque j’avais
besoin d’eau et que l’obscurité régnait depuis longtemps, ayant repéré l’emplacement
des baignoires remplies à ras bord.
    La dernière apparition de l’énigmatique Allemand s’est
produite le 12 décembre. Il m’apportait une provision de pain encore plus
généreuse que la précédente, ainsi qu’un édredon bien chaud. Il m’a annoncé qu’il
allait quitter la capitale avec son unité mais que je ne devais pas perdre
espoir, en

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