Le piège
qu’il s’en retournât à Lyon. Des groupes
familiaux, dans des poses d’aristocrates à la Conciergerie, jetèrent à Bridet
ce regard des gens qui voient surgir des complications nouvelles dans des
moments périlleux.
Un vieillard s’approcha de lui : « Monsieur,
nous sommes tous ici dans le même cas. Vous n’allez pas, j’espère, rendre la
tâche de ce brave homme plus difficile. » Un enfant, sentant que cela n’allait
pas, se mit à pleurer. Bridet se rassit. Il fut pris de peur. Tous ces braves
gens allaient se faire ramasser sans avoir même tenté de fuir. Ils seraient d’ailleurs
relâchés très vite. Les Allemands voyaient bien à qui ils avaient affaire. Mais
lui, il serait bel et bien pris. Où aller ? Que faire ? Il ne
connaissait pas le pays et il n’y avait même pas de lune. Maintenant qu’il s’était
mis dans ce guêpier, il fallait y rester.
On attendait toutes sortes de conditions
favorables, que la tournée des sentinelles fût achevée, qu’un autre passeur
arrivât au rendez-vous. À la fin, n’y tenant plus, Bridet voulut sortir, être
seul. Il se dirigea vers la porte. Il y eut un grand branle-bas parmi les
personnes présentes. Bridet allait faire tout rater. C’était honteux. Le
passeur le prit par le bras et lui ordonna de ne pas sortir. Il cria que c’était
lui qui commandait. Bridet retourna à sa place. Il entendit alors des femmes
dire que c’était tout de même malheureux qu’un homme jeune pût avoir peur à ce
point, que cela ne les étonnait plus que cette pauvre France en fût là.
** *
Quand Bridet se trouva en zone occupée,
aussi extraordinaire que cela paraisse, il éprouva un immense soulagement. Au
buffet de la petite gare où il attendait le train de Paris, si semblable
pourtant au café où il avait passé plusieurs heures de l’autre côté de la ligne
de démarcation, il sentit monter en lui l’attendrissement de l’exilé retrouvant
enfin ses compatriotes. Il était fier d’échanger des propos insignifiants avec
la caissière, les employés de la gare, les voyageurs. Il parlait à des Français
dont il partageait le sort. Il leur cachait même d’une façon puérile qu’il
venait de la zone libre, tant il lui semblait honteux d’avoir été dispensé des
souffrances communes.
Le lendemain matin, il arriva à Paris. Les
rues étaient vides. Il décida de se rendre à pied chez Robert. Par suite de l’absence
de moyens de locomotion, une foule énorme se pressait à certaines bouches de
métro. Des rues étaient encombrées de piétons alors que d’autres, toutes
proches pourtant, étaient désertes. Cette obligation où tous se trouvaient de
faire la même chose donnait déjà une première idée de ce qu’était l’occupation.
Mais ce qui frappa plus encore Bridet ce fut la vue, sur presque tous les murs,
d’innombrables inscriptions, dessins, graffitis de toutes sortes par lesquels
se révélait le caractère frondeur des Parisiens. Une grande tristesse se
dégageait de ces inoffensifs « Mort aux Boches ». On sentait que c’était
la seule liberté qui n’avait pu être ôtée aux Parisiens et qu’ils en usaient
pour faire quelque chose au moins.
Bridet avait dit à sa femme qu’il n’irait
pas au magasin. Il fit cependant un détour pour passer rue Saint-Florentin. Il
vit la petite boutique au rideau de fer baissé sur lequel, en si peu de temps,
comme sur tant d’autres, une épaisse couche de poussière teintée de rouille s’était
posée. Il s’arrêta quelques instants. Les autres magasins étaient fermés
également. Allaient-ils ouvrir bientôt, eux aussi, comme celui de Yolande ?
** *
Bridet arriva enfin chez Robert. Il lui
demanda tout de suite s’il ne connaissait personne dans son entourage qui
possédât une propriété sur les côtes de la Manche. Il lui fit part de son
projet. Il voulait passer le plus vite possible en Angleterre. Il lui parla
ensuite de Vichy, des ennuis qu’on lui avait faits. « Cela ne m’étonne pas »,
observa Robert. Comme il ne répondait pas à sa première question, Bridet revint
à la charge. Robert eut un air gêné. Il dit enfin qu’il ne se souvenait pas d’avoir
des amis qui habitassent au bord de la mer.
Bridet fut profondément étonné de l’attitude
de son beau-frère. Il avait gardé de celui-ci le souvenir d’un de ces hommes
droits, indépendants, un peu envieux, dont on dit qu’ils sont trop honnêtes
pour réussir. Il lui avait semblé
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