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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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ne l’avait-elle
pas écouté ?
    Bridet savait depuis longtemps qu’un
laitier, dont le magasin se trouvait dans une petite rue derrière le marché des
Jacobins, se rendait tous les matins en camionnette à proximité de la ligne de
démarcation, emmenant avec lui quatre, cinq ou six personnes désireuses de
passer en fraude en zone occupée. C’était un patriote. Dans certains milieux,
on le trouvait admirable. Sa conduite montrait qu’il existait toujours des
Français qui ne manquaient pas de courage.
    Bridet aurait préféré être présenté à ce
laitier, mais il était si pressé de quitter Lyon qu’il renonça à chercher un
intermédiaire. Vers cinq heures, il se décida à aller seul à la laiterie. Il
saurait bien inspirer confiance, se rendre sympathique. S’il y avait quelqu’un
qui n’avait pas l’air d’être de la police, c’était bien lui.
    Le rideau de fer était à demi baissé. Bien
que l’armistice ne datât que de quatre mois, le commerce de l’alimentation
était soumis à tant de règlements qui faisaient si visiblement l’affaire des
Allemands que les commerçants, par manière d’obstruction, fermaient leurs
boutiques sous les prétextes les plus extravagants. Les autorités n’avaient pas
encore exigé, que, même vides, les magasins restassent ouverts.
    Bridet fut pris d’une hésitation. Comment
allait-on l’accueillir ? Quand il parlerait de la ligne de démarcation, le
laitier ferait peut-être semblant de ne pas le comprendre. « Tant pis,
essayons quand même », murmura Bridet. Il se courba pour passer sous le
rideau de fer. Dans le magasin obscur, il n’y avait personne. Il appela. Une
femme parut. Bridet s’apprêtait à entrer dans de longues explications pour lui
laisser deviner ce qu’il désirait, lorsqu’elle dit : « Attendez un
instant, mon mari descend. » En effet, peu après un gros homme arriva. « Vous
voulez partir demain matin ? » demanda-t-il immédiatement. « Oui »,
répondit Bridet étonné que son interlocuteur prît si peu de précautions. « C’est
parfait. J’ai justement encore une place. — Mais c’est que nous sommes deux !
— Ah ça, c’est ennuyeux. — Vous vous serrerez », dit la
patronne. Le laitier hésitait, puis finalement il accepta. « Rendez-vous
ici à sept heures. »
    Les deux hommes se serrèrent la main.
Bridet était joyeux. Tout était arrangé, il n’avait plus à s’occuper de rien.
Il n’en était pas moins, au fond de lui-même, un peu déçu. Ce n’était pas d’avoir
payé 800 francs pour Yolande et pour lui, ni d’avoir à donner une somme
semblable le lendemain aux passeurs, qui était cause de cette déception, mais
que cet accord clandestin eût plutôt eu l’air d’un marché commercial. Il eut
été tellement plus réconfortant, tellement plus noble, que ce laitier eût été
vraiment le patriote qu’on disait, qu’il n’eût accepté d’argent que dans la
mesure où il en avait besoin, que son action eût été une manifestation
spontanée et désintéressée de résistance et qu’on ne sentît pas qu’il tirait un
profit personnel de la situation malheureuse de ses compatriotes.
    ** *
    À huit heures, Bridet s’achemina vers la
gare de Perrache. Il craignait tellement que, le dernier voyageur sorti, il ne
se retrouvât seul, que Yolande ne fût pas dans le train, qu’il s’en voulut de
lui avoir donné un rendez-vous si précis. N’eût-il pas mieux valu qu’elle le
rejoignît dès qu’elle arriverait à l’hôtel ? Il y avait déjà plusieurs
centaines de personnes massées aux sorties sud et nord. Bridet craignait autre
chose maintenant, que Yolande ne fût pas seule, que des inspecteurs ne l’eussent
accompagnée de Vichy, sachant qu’elle allait retrouver son mari.
    Bientôt les premiers voyageurs parurent.
Soudain, il poussa un cri de joie. Yolande était parmi eux, souriante, seule.
Il n’y avait pas de doute, elle était bien seule. Les voyageurs, derrière elle,
s’étaient arrêtés, embrassaient des parents, partaient dans d’autres
directions.
    — Tu vois, dit-elle avec une
expression triomphante, on ne m’a rien fait.
    — Oui, oui, je vois, dit Bridet en lui
prenant par tendresse le bras presque sous l’aisselle.
    — Ils t’ont dit quelque chose ?
demanda-t-il quelques minutes plus tard.
    — Rien. Je le savais bien. Ils
auraient été heureux de nous voir ensemble, c’est tout.
    — Est-ce que Saussier a fait

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