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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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à Yolande en sortant du métro et il ferma les yeux. Elle lui dit « Tu
es une poule mouillée ! Il faut regarder la vie en face. » « J’aime
mieux pas », dit-il. «Tu es toujours le même, mon chéri. »
    Une fois dans l’immeuble, Bridet crut qu’il
éprouverait un soulagement, que ce serait fini, qu’avec un effort d’imagination
il pourrait croire que rien ne s’était passé, qu’il n’y avait pas d’Allemands à
Paris. Mais quand il aperçut la concierge, il comprit qu’il se faisait de
nouvelles illusions. Elle lui dit bonjour sans que la moindre joie de le revoir
se montrât sur son visage, comme dispensée de toute amabilité elle aussi par un
malheur qui n’était arrivé qu’à elle.
    Yolande passa la soirée à déplier et
replier des draps. Bridet la regarda faire sans réussir à trouver le moindre
intérêt à cette occupation. Puisqu’il lui était aussi indifférent d’être chez
lui, pourquoi était-il rentré ? Il le demanda à Yolande. « Ne
recommence pas », lui répondit-elle. « Tu ne crois pas qu’il aurait
mieux valu qu’on ne sache pas où je suis ? Écoute-moi, mon chéri. Si tu
avais couru le moindre danger, est-ce que tu t’imagines que j’aurais été assez
bête pour te chercher ? »

14.
    Le lendemain matin, vers sept heures, la
sonnette de la porte d’entrée retentit. Bridet crut que c’était celle de l’appartement
contigu. Il arrivait en effet souvent, quand on parlait, quand une auto passait
au même moment dans la rue, qu’on confondît les deux sonnettes.
    — Tu crois que c’est ici qu’on a sonné ?
demanda Bridet qui venait de commencer sa toilette.
    Yolande, encore couchée, répondit :
    — Je n’ai rien entendu.
    Au même moment, la sonnette retentit de
nouveau, mais beaucoup plus longuement.
    — Va ouvrir, dit Bridet pris de
crainte.
    Yolande se leva.
    — C’est Robert qui vient déjà pour la
malle, dit-elle en mettant son peignoir. Il est un peu matinal.
    Bridet entrouvrit peu après la porte de la
salle de bains. Il aperçut deux hommes qui parlaient à Yolande dans l’antichambre.
Ils lui montraient un papier.
    — Il n’est pas là, dit Yolande.
    — La concierge vient de nous dire qu’il
est rentré hier soir, dit l’un des deux hommes.
    Un instant, Bridet songea à fuir, mais il n’avait
pour tout vêtement que son pyjama et ses pantoufles. Plus tard, il se demanda
pourquoi il n’était pas parti quand même. Mais il est extraordinaire comme il
faut peu de chose pour nous immobiliser quand nous sommes pris à l’improviste. Pour
comprendre que notre vie est en danger, il faut beaucoup de temps et plus tard,
quand nous sommes perdus, nous nous rappelons avec un regret amer l’opportunité
que nous avons manquée. C’était si facile de fuir et nous ne l’avons pas fait.
Parce que nous n’avions que des pantoufles, nous nous sommes laissé prendre. Et
aujourd’hui que nous traverserions la France pieds nus, il est trop tard.
    La voix de Yolande était si ferme qu’il eut
encore l’espoir que les inconnus allaient se retirer. Il repoussa tout
doucement la porte et attendit. Des paroles indistinctes venaient jusqu’à lui.
Un instant, il pensa s’habiller à la hâte, puis il lui apparut que s’il avait
encore affaire à des policiers, cela ne lui servirait à rien. Tout à coup, il
entendit Yolande l’appeler. Elle avait donc dit qu’il était là. Elle n’avait
donc pu faire autrement. Il prit une serviette de toilette pour se donner une
contenance et ouvrit la porte.
    — Voilà ce qu’on apporte pour toi, dit
Yolande en lui tendant un papier.
    Il lut sur une grande feuille, imprimée en
anglaises, ce qui donnait à l’en-tête l’apparence d’avoir été écrite par une
main qui ne tremblait pas
    Ministère
de l’intérieur
Cabinet du Ministre
    Plus bas, tapé à la machine avec la netteté
d’un exemplaire unique : « Nous, Ministre de l’intérieur, décidons
que M. Joseph Bridet, journaliste, domicilié rue Demours, sera conduit à la
maison d’arrêt de la Santé, boulevard Arago et y sera détenu. »
    La signature se trouvait au-dessous, sans
cachet pour l’authentifier, car c’était la signature du ministre lui-même.
    — Quoi ! s’écria Bridet, en
essayant de simuler instantanément de l’indignation.
    Ce qui venait de se passer était tellement
inconcevable, Yolande s’était trompée de façon si éclatante, il était tellement
évident qu’elle avait eu tort,

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