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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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un autre.
En même temps qu’on mettait ces tracts dans la poche de son mari, on prévenait
le ministère de la Justice. Bridet serait acquitté et l’intérieur n’aurait pas
besoin de se dédire.
    — Je vais parler de tout cela à
Outhenin, dit Yolande. Il faudra bien qu’il me donne le fin mot de l’histoire.
    — Si ça se trouve, c’est ton Outhenin
qui a fait le coup, dit Bridet.
    Yolande ne répondit pas. Elle embrassa
longuement son mari. Puis elle le quitta en lui disant, pour le réconforter,
que des actions pareilles se retournaient toujours contre leurs auteurs.

16.
    Quelques jours plus tard, Bridet fut
conduit au Palais. Le juge d’instruction lui fit tout de suite bonne
impression. C’était un homme beaucoup plus fin, beaucoup plus simple, beaucoup
plus compréhensif que tous ces fonctionnaires de Vichy et, à plus forte raison,
que toute cette racaille à laquelle Bridet avait eu affaire jusqu’à présent. Ce
juge pouvait avoir une cinquantaine d’années. Il était un peu négligé d’aspect.
Il avait le visage tourmenté d’un homme qui s’est posé, au cours de son
existence, beaucoup de questions d’ordre moral et sentimental. On devinait, à
son regard, qu’il voyait les hommes en présence desquels il se trouvait, qu’il
les voyait réellement et qu’il les jugeait non pas d’après l’acte qui les
amenait devant lui, mais selon leur valeur profonde.
    Il procéda à l’interrogatoire d’identité de
Bridet. Il lui annonça qu’il était inculpé de manœuvres contre la sûreté
intérieure de l’État. Il lui demanda de faire le choix d’un avocat, sans
paraître considérer pour cela que le prévenu était coupable. Puis il le pria de
se retirer. Bridet, qui avait attendu que le juge lui posât des questions pour
ouvrir son cœur, ne bougea pas. « Vous pouvez vous retirer », répéta
le juge.
    — C’est tout de même incroyable, s’écria
Bridet, qu’on puisse se servir de pareils moyens, qu’on puisse bâtir une
accusation sur des machinations de basse police. Je vous le dis, Monsieur, ces
tracts ont été mis dans ma poche par un policier. J’avais déjà entendu parler
de ça, mais je n’avais jamais voulu le croire. Il faut en avoir été
personnellement victime. Moi, je vous dis qu’on les a mis dans ma poche. C’est
déshonorant pour la justice. On faisait ça avant la guerre avec la cocaïne, on
en mettait dans la poche des marlous. Aujourd’hui, n’importe qui peut être
traité de cette façon...
    — Je vous en prie, je vous en prie,
dit le juge avec douceur.
    Il leva les bras d’un geste las et Bridet
sentit qu’il trouvait que le prévenu se donnait bien du mal inutilement, car
rien ne montrait encore qu’on lui reprochait quelque chose. Il était inculpé, c’était
vrai, mais dans les conditions actuelles, cela ne tirait à aucune conséquence,
sinon à de petits ennuis personnels et passagers, et se défendre avec tant de
véhémence trahissait une certaine légèreté d’esprit, car tous les hommes,
aujourd’hui, qu’ils fussent juges ou inculpés, patrons ou ouvriers, étaient
logés à la même enseigne.
    De retour dans sa cellule, Bridet eut le
sentiment réconfortant que les Boches n’avaient pas tout contaminé, qu’il y
avait quand même, dans certains milieux, des îlots français.
    Dimanche, Yolande revint le voir. Elle
était changée. Outhenin l’avait envoyée auprès d’un certain Jean-Claude
Fallières. Son amour des gens bien était tel qu’elle ne put, même dans ce
parloir de prison, s’empêcher de dire qu’elle croyait que c’était le petit-fils
de l’ancien président de la République, ce qui était d’ailleurs inexact. Il n’avait
pas paru étonné par cette histoire de tracts. Tout était possible d’après lui.
Elle s’était alors rendue à la Préfecture pour essayer de voir Schlessinger. On
lui avait répondu qu’il était en voyage. « Mais M. Outhenin m’a dit qu’il
était rentré. » Elle s’était mise en colère. Elle avait parlé de se
plaindre au général Glouton. Mais cette menace n’avait fait aucun effet. Vu de
Paris, Vichy n’était pas bien redoutable, même pour les services restés sous sa
dépendance. Elle était retournée voir Outhenin, qui, à son tour, s’était
dérobé. Tous ces gens étaient des égoïstes et des lâches. Ils se surveillaient
entre eux. Ils n’avaient en réalité aucun pouvoir. Dès qu’ils sentaient qu’il y
avait des intérêts en

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