Le piège
lui
répondaient pas, oubliant parfois qu’ils avaient affaire à un prisonnier,
absorbés qu’ils étaient par le souci de se couvrir.
On le conduisit finalement, après avoir
emprunté un souterrain très propre et éclairé électriquement, dans une grande
salle à voûtes ogivales. Un banc, formant corps avec la boiserie, faisait le
tour de cette salle. Une cinquantaine de personnes, attendant qu’il fût statué
sur leur sort, s’entretenaient par groupes.
Une heure plus tard, les deux inspecteurs
vinrent chercher Bridet. Tous trois se réinstallèrent dans la petite « Simca »
et, peu après, ils arrivaient à la prison de la Santé. Au cours du trajet, en
suivant la rue Saint-Jacques, Bridet avait aperçu au coin du boulevard du
Port-Royal, la maison où, lorsqu’il avait interrompu ses études de droit et
quitté avec éclat le contentieux de la Nationale pour faire de la peinture, il
avait loué un atelier.
Le porche à double battant de la prison,
avec porte encastrée dans l’un d’eux, n’était pas tellement imposant. C’était
presque l’entrée d’un bel immeuble d’une avenue du quartier de l’Étoile.
Au-dessus, le drapeau tricolore flottait, sans vie, sans âme, malgré ses
couleurs éclatantes.
Bridet traversa une sorte de cour
recouverte d’une verrière et entourée de grilles comme une cage. Un gardien
ouvrit une de ces grilles. Dans une grande galerie, d’étranges bureaux vitrés
étaient alignés, ayant une toiture à eux quoique, au-dessus, la verrière les
protégeât.
Bridet fut poussé dans une salle sans
meuble, mais encombrée de portemanteaux. Peu après une porte s’entrouvrit. L’employé
du greffe qui parut dans l’embrasure n’était pas un inoffensif bureaucrate. Il
appartenait à l’administration pénitentiaire et, à ce titre, ne s’était pas
toujours contenté de faire des écritures.
— Est-ce que vous êtes disposé à venir ?
— Mais oui, dit Bridet.
On l’introduisit dans une grande pièce nue
et propre où flottait une odeur délicieuse de bois brûlé. On eût dit une salle
d’études dont le ménage vient d’être fait et le poêle allumé. On le pria de
vider ses poches. Les deux inspecteurs n’étaient pas encore repartis. L’un d’eux
s’approcha de Bridet pour s’assurer qu’il n’avait rien gardé sur lui. Il le
tâta, non seulement aux emplacements des poches mais le long des jambes. Puis
il passa derrière lui, recommença son manège. Tout à coup, brandissant une
poignée de papiers, il s’écria :
— Et ça ?
— Qu’est-ce que c’est ? demanda
Bridet.
— Je vous le demande justement.
— Je ne sais pas.
L’inspecteur porta ces papiers à son
collègue qui en distribua aux employés du greffe.
— Ce sont des tracts, dit un de
ceux-ci.
— Des tracts ? s’exclama Bridet.
— Non, des images de la Sainte-Vierge,
fit l’inspecteur au nez joliment dessiné.
Il se tourna vers Bridet et, le tutoyant
pour la première fois :
— Tu nous avais pas dit que tu étais
communiste...
Bridet se taisait. Si sa liberté n’avait
pas été en jeu il eût répondu oui par défi.
— Ils ne sont tout de même pas tombés
du ciel, ces tracts !
Bridet gardait toujours le silence.
— Dites, pendant que vous y êtes, que
c’est nous qui les avons mis dans votre poche.
— Je n’accuse personne.
Tout le monde se passait et se repassait
ces tracts, affectant de les tenir du bout des doigts, comme des papiers gras,
n’osant les garder de peur d’avoir l’air de s’y intéresser.
— C’est le manifeste de Thorez, dit un
bureaucrate,
— Ah ! celui-là, s’exclama un
autre.
— Écoutez ça, non mais écoutez ça, s’écria
un scribouillard qui était resté derrière sa table et paraissait avoir une
réputation de pince-sans-rire : « La France veut vivre libre et
indépendante. Jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves. C’est
dans le peuple que résident les grands espoirs de libération nationale et
sociale. C’est autour de la classe ouvrière ardente et généreuse que se
constituera le front de la liberté. »
— Vous n’allez pas nous lire cette
saloperie jusqu’au bout, interrompit avec colère l’inspecteur aux traits
finement ciselés.
Le scribouillard, qui avait sans doute
voulu faire de l’esprit à moins qu’il n’eût pas été mécontent de dire quelques
vérités, se tut immédiatement. Il regarda ses collègues, comme dans le
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