Le piège
du général Stulpnagel ? Yolande était vraiment
trop bête. Mais à la pensée qu’elle était peut-être en train de pleurer à cette
minute, il s’attendrit.
Elle lui avait dit, au moment où les
inspecteurs l’avaient emmené : « Ce soir tu seras libre. »
Bridet crut toute la journée qu’elle allait venir le chercher, qu’il aurait du
moins de ses nouvelles. Mais le rythme de son existence était brusquement
changé. Une journée, deux journées, trois journées, ne sont que des minutes
dans la vie des prisons. Et une semaine s’écoula avant qu’il revît Yolande. Il
était si abattu que lorsqu’il se trouva en sa présence, sans lui laisser le
temps de dire un mot, il la prit dans ses bras, la serra contre lui sans
parler, un long moment, comme si la liberté passait au second plan à côté du
bonheur de la revoir. Elle se dégagea dès qu’elle put le faire décemment.
— Tu es libre ! lui dit-elle en
écarquillant les yeux pour donner de la candeur à son visage.
— Comment !
— Oui, tu es libre.
Bridet la reprit par les épaules et, dans
sa joie, l’embrassa, non pas longuement et une seule fois, mais précipitamment
sur toutes les parties de son visage.
— Voyons, voyons, mon chéri,
laisse-moi te raconter ce qui s’est passé.
Elle avait été voir Outhenin à la
préfecture de police. Elle l’avait mis au courant de ce qui venait d’arriver.
Il avait paru profondément étonné. Il lui avait dit de revenir, qu’il allait
interroger les services. Le ministre n’avait sûrement pas été renseigné avec
exactitude. Il avait dû prendre sa décision en se basant sur un rapport établi
antérieurement. Par un oubli regrettable, mais excusable dans une période d’organisation,
les résultats de l’enquête ne lui avaient sans doute pas été communiqués.
Deux jours après, elle avait revu Outhenin.
Il lui avait lu le télégramme qu’il avait envoyé à Vichy. Il attendait la
réponse. Yolande était encore revenue le lendemain. Tout de suite, Outhenin lui
avait annoncé la bonne nouvelle : l’annulation de la décision
ministérielle. Il ne restait plus qu’à la notifier aux services intéressés. C’était
l’affaire de deux ou trois jours au plus. Elle n’avait pas attendu que tout fût
réglé pour venir le voir. Elle savait trop ce que c’était que d’être dans l’incertitude.
— Mais est-ce que le procureur est
averti ? demanda Bridet ?
— Quel procureur ?
— C’est que je suis inculpé de manœuvres
contre la sûreté intérieure de l’État. La police n’a plus rien à voir dans mon
histoire. Je dépends de la justice. Outhenin ne t’en a pas parlé ?
— Pourquoi la justice ?
— À cause des tracts communistes.
— Quels tracts ?
— Ceux qu’on m’a mis dans la poche.
Yolande regarda longuement son mari.
— Tu avais donc des tracts ?
— Mais non, s’écria Bridet. Ce sont
ces crapules de policiers qui me les ont mis dans la poche.
Yolande eut un sourire sceptique.
— Cela me paraît bien extraordinaire,
dit-elle.
— C’est pourtant vrai. Tu ne me crois
pas ?
— Si, si, mais ce genre d’histoire m’a
toujours paru extraordinaire. Pourquoi veux-tu qu’on te mette des tracts dans
la poche ? Quand on sait que quelqu’un est un bandit et qu’on n’en a pas
la preuve, je comprends. Mais ce n’est pas ton cas. Les policiers avaient un
papier en règle.
— Ah ! ça, tu en as de bonnes. Tu
appelles ça en règle.
Yolande garda un instant de silence.
— Tu me jures que c’est vrai ?
demanda-t-elle.
Un certain désarroi était visible sur son visage.
Cette histoire lui paraissait incroyable, mais elle ne pouvait douter de son
mari.
— Si ce que tu me racontes est vrai,
ajouta-t-elle, cela va faire un scandale.
Elle avait une expression douloureuse. Au
fond, elle avait beaucoup de cœur et la révélation d’actions aussi abominables
lui faisait perdre contenance. Elle se mit à réfléchir. Elle ne s’expliquait
pas pourquoi on avait agi ainsi avec son mari. Pour la première fois, un doute
se glissa dans son esprit sur la loyauté d’Outhenin et de tous ses amis de
Vichy. Mais quand nous croyons à des gens, ce n’est jamais tout d’un coup que
nous leur retirons notre confiance. Elle était en présence d’une astuce
juridique. Ils s’étaient aperçus qu’ils avaient fait une bévue. Ils avaient
imaginé cette histoire pour faire passer l’affaire d’un secteur dans
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