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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'honorable Malcolm Murray, ni l'écrivain de marine Michael Hocker ne feraient preuve d'autant de sans-gêne pour m'aborder, la bouche en cœur, quand je vais faire des courses au village des artisans, ou quand je livre nos éponges au port oriental, dit-elle, le regard flamboyant.
     
    – Je suis confus, croyez-le bien, d'avoir inconsidérément parlé de riche héritière, dit Desteyrac d'un ton calme, sans ajouter d'excuses.
     
    – Oui, vous êtes confus, vous êtes confus, c'est peut-être bien la seule chose qui vous différencie encore des autres ! pesta la jeune fille.
     
    Elle quitta brusquement son siège pour se diriger vers sa barque, au sec sur le sable. Charles se leva et la suivit.
     
    – Contrairement à ce que vous semblez croire, j'ignore tout de votre vie. Si, dès notre première rencontre, ici même, quand vous avez failli vous noyer sous nos yeux, Mark Tilloy m'a révélé, sous le sceau du secret, que vous êtes fille de lord Simon, je n'en ai pas appris davantage depuis lors et n'ai pas tenté d'en savoir plus. Dois-je ajouter que le genre de relations, pour moi agréables, que nous entretenons depuis quelque temps n'exige ni présentation d'un certificat d'état civil, ni confidences exhaustives. Je prends les gens, femmes ou hommes, tels qu'ils m'apparaissent, sans me soucier de leur naissance, de leur fortune, ni même de ce qu'ils peuvent penser de moi. Vous êtes la fille adoptive de lady Lamia, femme admirable que j'estime beaucoup, ça me suffit et m'a conduit à vous considérer avec sympathie et respect. Je sais maintenant de vous ce que vous venez de m'en dire. Très bien, mais vous auriez pu vous épargner cet aveu, qui ne modifie en rien ma façon de voir. Transmettez mes remerciements à votre marraine et mes félicitations à sa cuisinière, conclut Charles en aidant Ounca Lou, dont c'était le tour d'être confuse, à mettre sa barque à l'eau.
     
    Sans se retourner, il regagna sa planche à dessin et, d'un crayon rageur, produisit en quelques traits de mémoire, un portrait de celle qui, hissant la voile latine de sa petite embarcation, rentrait, des larmes de dépit plein les yeux, à Buena Vista.
     

    Quelques jours après cette entrevue, dont il avait espéré mieux, Charles, qui venait de passer la journée sur l'îlot pour surveiller les travaux de terrassement, fut, comme souvent, convié à dîner par lady Lamia. Il constata l'absence d'Ounca Lou.
     
    – Ma filleule a été enlevée par votre ami Tilloy. Elle accompagne notre livraison d'éponges à Nassau. Ce petit voyage de quelques jours sera pour elle une distraction, car je crains qu'ici elle ne s'ennuie sans oser le dire, révéla Lamia.
     
    Charles savait que Tilloy se rendait, chaque mois, sur l'île capitale New Providence pour livrer les éponges de Buena Vista, les carapaces de tortues, l'écorce de cascarille et les noix de coco récoltées sur Soledad. N'ayant pas mis les pieds depuis plus d'une semaine au Loyalists Club, il n'avait pas revu le lieutenant. Il ne pourrait donc reprocher à Mark de lui avoir caché que la filleule de lady Lamia était du prochain voyage à Nassau. Le lieutenant n'en aurait pas fait mystère, n'eût été que pour signifier à Charles qu'il avançait dans la conquête de la belle qui avait enflammé ses sens. Tilloy considérait qu'Ounca Lou, du fait de sa bâtardise, devait se sentir flattée d'être courtisée par un officier de marine britannique sans préjugés. Dissimulant sa vague irritation, Desteyrac, étonné que la jeune fille eût accepté de naviguer avec un garçon duquel le sans-gêne semblait l'offusquer, changea de sujet de conversation.
     
    – Savez-vous que Malcolm Murray est en train de dresser les plans d'un hôpital qui sera le plus moderne de l'archipel ? Lord Simon est aux anges et ouvre largement sa bourse. Quand je me rendrai à Pittsburgh pour lancer la fabrication de notre pont, Malcolm sera du voyage jusqu'à New York. Il devra, avec un médecin, acheter des instruments de chirurgie pour équiper ce nouveau lazaret.
     
    – Je sais. Malcolm est venu me voir, car le médecin de la colonie blanche, Albert Weston Clarke, critique sans arrêt le projet de Murray, que Simon a eu tort de montrer avant qu'il ne soit achevé. Pour avoir soigné des altesses à la cour de Saint James, Weston Clarke se prend pour une réincarnation d'Hippocrate. Il veut tout régenter et exige d'être le seul praticien du futur hôpital. C'est lui qui

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