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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'interruption de sa marraine et décocha à Charles un sourire épanoui.
     
    – Il fait très chaud, ce matin : je vais profiter de votre nouvelle installation pour passer sur Soledad et aller me baigner près de chez vous, dans Pink Bay. M'accompagnerez-vous ?
     
    – Avec grand plaisir, dit Charles, pressé d'écourter l'entretien avec Lamia.
     
    Il invita aussitôt la jeune fille à prendre place avec lui dans la benne du va-et-vient. Avant même qu'il eût saisi la manivelle pour mettre la nacelle en mouvement, lady Lamia avait tourné les talons et, sans un mot, pris à pas vifs la direction de sa demeure.
     
    – J'ai le sentiment que votre marraine n'apprécie guère qu'un Blanc ait été vu en compagnie d'une Indienne lors du goombay , dit-il pour avoir une idée de ce que savait exactement la jeune fille.
     
    – Marraine nourrit un certain préjugé contre les filles arawak. Elle les tient pour enjôleuses et fort intéressées par ce que peut rapporter une relation… disons privilégiée, avec un Blanc. Mais vous êtes étranger et ne pouvez savoir, n'est-ce pas ?
     
    – En effet, je ne puis savoir, dit Charles, maintenant convaincu qu'Ounca Lou n'ignorait rien de ce qu'il eût préféré cacher.
     
    – Mais, quoi qu'en pense lady Lamia, cela ne tire pas à conséquence, conclut la jeune fille d'un ton détaché, marquant ainsi son indifférence à l'affaire.
     
    La traversée effectuée, ils marchèrent jusqu'à la maison de Charles. Ounca Lou s'assit sur les marches de la galerie tandis que Desteyrac passait le maillot noir de nageur qu'il avait pris soin, en quittant Paris, de mettre dans ses bagages. En se glissant dans ce vêtement qui lui couvrait décemment le corps de mi-cuisse aux épaules, lui revinrent les souvenirs des dimanches d'été au bord de la Marne. L'image de Rosalie en costume de bain rayé rouge et blanc, avec volants aux coudes et aux genoux, coiffée d'un bonnet à friselis, le fit sourire. Comme les Indiennes, Ounca Lou se baignait avec un simple pagne auquel elle avait ajouté, sans doute à cause de Charles, une étroite brassière de toile que ses seins supportaient plus qu'elle ne les cachait. Elle la perdit à la troisième brasse !
     
    Ils nagèrent côte à côte, se glissant sous la vague et s'éloignant du rivage avec aisance.
     
    – N'allez pas au-delà de la barrière de corail. Les requins ne la franchissent pas, mais ils sont peut-être derrière à nous attendre ! lança la jeune fille.
     
    Charles trouva là prétexte à se rapprocher de sa compagne jusqu'à ce qu'une vague complice l'aide à frôler le corps de la nageuse. Hypocrite, il s'excusa de ce léger heurt, sans pour autant s'éloigner d'elle. La jeune fille ne marqua aucune contrariété et plongea, invitant d'un geste du bras son compagnon à l'imiter. Ils évoluèrent un moment entre deux eaux, au-dessus des rochers où, à leur approche, se faufilaient, traits multicolores, d'étranges poissons que Charles n'avait jamais vus que dans l'aquarium du Collège de France. Mais, plus que la faune marine, les formes et les mouvements gracieux et cadencés de la jeune femme retenaient son regard. La puissante clarté du soleil se diluant dans l'eau limpide lustrait le corps de la naïade, la rendait à la fois plus désirable et plus inaccessible. Bientôt, le Français sentit la nécessité de reprendre souffle. Elle lui tendit la main pour l'aider à refaire surface.
     
    – Je n'ai pas la capacité thoracique d'un pêcheur d'éponges, ânonna-t-il, s'efforçant de recouvrer un rythme respiratoire normal.
     
    – Ça suffit pour aujourd'hui, dit gaiement Ounca Lou sans lâcher la main de Charles.
     
    C'est ainsi qu'ils regagnèrent la plage, la jeune fille balançant de sa main libre la brassière qu'elle n'avait pas jugé utile d'ajuster à nouveau. Quand ils s'assirent côte à côte sur le sable, elle releva ses cheveux, les lia avec une tige arrachée à une touffe de graminée. Sa peau mouillée retrouvait, en séchant, son aspect soyeux, des gouttelettes d'eau perlaient à la pointe de ses seins. À cet instant, l'image d'Esther à sa toilette, que Théodore Chassériau avait peinte se coiffant, bras relevés, ce qui donnait au buste nu une insolence érotique, se présenta à la pensée de Charles. Ounca Lou, comme l'orpheline juive de la Bible, n'avait-elle pas grandi, « solitaire et cachée », auprès de sa marraine, comme Esther près de son oncle Mardochée ?

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