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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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des tarifs différents, nous pensons qu'elle empochera au moins la valeur de quatre cent mille de vos francs ! » avait calculé le banquier.
     
    Tilloy, Desteyrac et Murray visitèrent aussi, à l'angle de Ann Street et de Broadway, le musée des curiosités de Mr Phineas Taylor Barnum, où ils virent un nain en uniforme de général ainsi qu'une vieille Noire à qui l'on attribuait cent soixante ans et qui avait été, assuraient les affiches, la nourrice de George Washington. Le soir même, Jeffrey mit sous les yeux des trois amis un ouvrage intitulé la Vie de Barnum écrite par lui-même . Dans cette confession autobiographique, celui que le New York Herald avait nommé « le Napoléon du divertissement public » avouait tous ses truquages. La vieille Noire ne comptait que soixante-dix hivers et n'avait jamais vu Washington ; le nain, dit général Tom Pouce, présenté par Barnum à la reine Victoria, était en réalité un enfant de cinq ans tout à fait normal ; la sirène momifiée se révélait buste de guenon naturalisée, cousu à une queue de poisson !
     
    – Voilà bien la naïveté humaine, exploitée au-delà de toute expression ! Barnum a fait fortune en bernant des milliers de gens tant en Amérique qu'en Europe. On se demande comment il a pu si longtemps tirer profit de telles supercheries, constata Murray.
     
    – Il l'a dit lui-même : « Parce qu'il naît un jobard toutes les minutes », cita Jeffrey, plus admiratif que scandalisé.
     
    Au cours des veillées que Charles passa à Washington Square, tous les sujets de conversation furent abordés à l'heure du cigare et des alcools. Dès le premier jour, Jeffrey Cornfield avait montré de l'intérêt pour les travaux conduits sur Soledad par l'ingénieur français et le neveu de lord Simon.
     
    – Un pont et un hôpital ! Deux espèces de constructions dont New York aurait maintenant grand besoin ! Il nous faudrait de nouveaux ponts pour franchir commodément l'East River et la rivière de Harlem, surtout pour relier la ville à Brooklyn, qui se développe. Aussi un nouvel aqueduc : le vieux High Bridge, en service depuis 1848, qui transporte l'eau du réservoir de Croton, ne peut plus faire face aux besoins. Tout le monde veut posséder une baignoire à domicile. Quant à notre hôpital Bellevue, construit en 1795, il est insuffisant alors que la population s'accroît sans cesse par cet afflux d'immigrants faméliques que le gouvernement de l'État, pas plus que le gouvernement fédéral, ne se préoccupe d'endiguer. Savez-vous que New York compte déjà plus d'Irlandais que Belfast, et bientôt plus de Siciliens que Palerme ?
     
    Bien que cela ne pût plaire à son cousin Jeffrey, plus âgé que lui de deux années, lord Simon aborda un soir, par le biais d'une information du New York Herald , la question de l'esclavage, qui prenait de plus en plus d'acuité dans l'Union depuis que s'affrontaient ouvertement au Kansas, les armes à la main, pro- et antiesclavagistes. Or, un écrivain, philosophe et conférencier, Ralph Waldo Emerson, descendant de sept générations de pasteurs unitariens de Boston, venait de proposer aux membres de l'American Anti-Slavery Society de New York, réunis à l'occasion du douzième anniversaire de la fondation de leur société, le moyen de supprimer l'« institution particulière » qui, d'après l'auteur de la Nature , évangile du transcendantalisme, déshonorait la démocratie américaine. Il s'agissait simplement de dédommager les propriétaires d'esclaves en leur payant l'affranchissement de tous les Noirs. Emerson évaluait le coût de l'opération à deux cents millions de dollars ! Ce rappel fit bondir le banquier.
     
    – Encore heureux que la proposition de cet hurluberlu n'ait pas été retenue ! Mais qu'attendre de sensé de la part d'un homme qui a quitté l'Église unitarienne et qui, dans tous ses écrits et pendant ses harangues, aussi bien dans les villes de l'Union qu'en Angleterre et en France, ne manque jamais de fustiger ses compatriotes et les institutions de son pays natal ? D'après ce malade aux ambitions politiques déçues, nous sommes tous des Yankees cupides, bavards et hâbleurs. Il a même écrit que notre démocratie est un gouvernement de brutes, tempéré par l'outrecuidance des propriétaires de journaux. Il dit que notre parti conservateur « ne défend aucun droit, n'aspire à aucun bien réel, ne flétrit aucun crime, n'a pas l'amour de

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