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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Murray.
     
    – Ah ! C'est aussi ce que disent nos cousins Cornfield des Carolines. Ils vont jusqu'à proposer la séparation des États cotonniers du Sud des États du Nord. Ils nous traitent parfois de pillards ! s'indigna le banquier.
     
    Aussitôt, lord Simon intervint.
     
    – Mon neveu n'a pas tort, Jeffrey. Aux yeux de certains antiesclavagistes européens, il y a comme une connivence coupable entre les filateurs et les planteurs du sud des États-Unis. Car nos filatures de Manchester profitent elles aussi, certes moins que les vôtres, du travail du million d'esclaves des États cotonniers. Vous obtenez ici, à un prix très modeste, du bon coton middling de Louisiane, cultivé et cueilli par des nègres qui travaillent du lever au coucher du soleil. À la Bourse du coton de New York, le prix de la livre est finalement ce que les filateurs et les banquiers américains le font, n'est-ce pas ?
     
    – Nous tenons compte de l'intérêt des planteurs et, aussi, de la demande, qui ne cesse de croître, cher Simon.
     
    – L'an dernier, on a récolté dans le sud de l'Union deux millions neuf cent mille balles de coton, dont plus de sept cent mille ont alimenté les filatures de Nouvelle-Angleterre, au prix de dix cents la livre. Ce même coton, soumis à une cascade de droits et aux frais de transport, nous arrive à cinq pence soixante la livre à Liverpool, indiqua Simon Leonard.
     
    Le lord savait comment Jeffrey, actionnaire de plusieurs filatures et banquier, pouvait influencer les cours de l'or blanc en consentant ou non des avances sur récolte aux planteurs du Sud. Il savait aussi que les manufacturiers du Massachusetts gagnaient plus d'argent en spéculant sur les cotons qu'en fabriquant du fil !
     
    – Mon cher cousin, si les nègres du Sud devenaient du jour au lendemain travailleurs libres, il faudrait leur octroyer un salaire, et le prix de la livre de coton augmenterait, pour nous comme pour vous. Aussi l'abolition générale n'est-elle pas à souhaiter. D'ailleurs, ici, les gens sensés ne la proposent pas, sauf The Liberator de William Lloyd Garrison, qui va répétant : « L'esclavage est un contrat avec Satan », et qui osa, l'an dernier, le 4 juillet, alors que nous célébrions l'Independence Day, brûler publiquement le texte de la Constitution des États-Unis ! s'indigna l'Américain.
     
    Jeffrey ignorait bien sûr que Simon soutenait de ses deniers, depuis son premier numéro, le journal de Garrison. Aussi lord Simon, se tenant en retrait de la discussion, laissa-t-il son neveu répliquer au banquier.
     
    – Vous savez bien, monsieur, que Garrison n'est pas seul. L'American Anti-Slavery Society compte, m'a-t-on dit, plus de deux cent mille adhérents, fit observer Murray.
     
    – Et pourquoi cela, s'il vous plaît ? Parce que des pasteurs illuminés prêchent, Bible en main, la dissolution de l'Union et distribuent par milliers d'exemplaires une lettre du défunt abolitionniste anglais Thomas Clarkson, qui invitait les États du Nord, au nom de la religion, à se séparer des États du Sud en dénouant le lien politique qui les unit, reprit Jeffrey, visiblement agacé.
     
    – Vous n'êtes donc pas vraiment abolitionniste ? osa Malcolm Murray, jouant l'étonnement.
     
    – Si, bien sûr, mais pas aussi largement que certains le voudraient, mon garçon.
     
    – Il ne peut dans ce domaine, monsieur, y avoir de demi-mesure. Quand nous autres Anglais avons aboli l'esclavage dans nos colonies, ce ne fut ni largement ni étroitement : tous les nègres devinrent des hommes libres, sans restriction ! répliqua Malcolm.
     
    – Ah ! Vous autres Britanniques ne connaissez pas les nègres comme nous les connaissons. Vous ne vivez pas près d'eux, et vos nègres des Bahamas ne sont pas tentés, comme les nôtres, d'imiter les Blancs. Ils ne violent pas vos femmes et vos filles, ils ne puisent pas dans vos caisses. Dans nos villes, les nègres libres doivent être constamment surveillés, dirigés, encouragés à vaincre leur naturelle indolence et leur lubricité atavique, devenue dangereuse. Ils doivent sentir le poids de l'autorité, être astreints à des tâches quotidiennes simples, ne faisant appel qu'au muscle. Le gouvernement fédéral avait réussi, en 1850, à équilibrer le nombre des États dits libres et des États faisant travailler des esclaves. Sans ces excités du Kansas, la situation aurait été établie pour longtemps ! soupira

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