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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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donc temps que j'emprunte la voie commune. Edwin, le cadet le mieux noté de West Point, est promis à une belle carrière dans l'armée des États-Unis et il plaît à mon père, qui passe sur son absence de fortune. J'ai donc agréé sa demande en mariage. Votre point de vue étant sans aucun doute désintéressé, n'est-ce pas… ?
     
    – Il l'est, croyez-le bien.
     
    Ottilia ne releva pas l'interruption que ne justifiait pas une interrogation de pure forme.
     
    – … pensez-vous que je doive vraiment épouser Edwin Sampson ? reprit-elle.
     
    Interloqué, Desteyrac dégagea sa main et demeura un instant silencieux, fixant sur le mur une peinture naïve des chutes du Niagara.
     
    – À votre avis, ai-je raison ? réitéra Ottilia.
     
    – « La raison n'est pas ce qui règle l'amour », a dit Molière.
     
    – Nous parlons mariage, répliqua froidement Ottilia, laissant entendre que l'amour n'entrait pas là en ligne de compte.
     
    – Pour moi, une femme n'a qu'une seule raison d'épouser un homme : c'est l'amour qu'elle lui porte, écho enthousiaste de celui qu'il offre, répondit Charles.
     
    – C'est votre conception du mariage ?
     
    – C'est ma conception de l'amour.
     
    Ce fut au tour d'Ottilia d'observer un silence qui obligea Desteyrac à relancer la conversation.
     
    – Vous êtes à la veille de vous fiancer avec un garçon qui, manifestement, est très amoureux de vous, et vous êtes encore indécise ! s'étonna-t-il.
     
    Évitant le regard de Charles, elle laissa le sien errer sur des vues maladroitement traitées des rives de l'Hudson et des Appalaches, puis elle se renversa sur les coussins, la tête rejetée en arrière.
     
    – Voyez-vous, finit-elle par dire, j'ai tant rêvé des paisibles délices de l'amour et vu autour de moi tant d'épouses leurrées, que je ne crois plus à l'existence du bonheur que dans les songes.
     
    – D'après le peu que je sais de vous, c'est là une forme de désenchantement qui ne vous sied guère, Otti. Mais si vous êtes dans cette disposition d'esprit, le mariage avec Edwin Sampson devient union de convenance, et vos fiançailles, simple formalité mondaine, précisa courageusement Desteyrac.
     
    Elle perçut l'ironie du propos, eut un sourire forcé, chaussa vivement les mules qu'elle avait abandonnées et quitta le lit de repos.
     
    – Ce sera en tout cas une belle cérémonie. Et je compte que vous me ferez danser demain soir, dit-elle, mettant fin à un entretien décevant.
     
    Conscient de s'être dérobé – mais comment pouvait-il faire autrement ? – et devinant, sous l'apparente arrogance d'Otti, un tumulte d'aspirations obscures et un secret désarroi, Charles la retint par le bras.
     
    – Comprenez combien il m'est difficile d'apprécier une situation qui devrait, qui va engager votre vie. Tout ce que je sais de vos sentiments passe par des mots. La connaissance des mots conduit peut-être à la connaissance des choses, comme l'a écrit Platon, mais elle ne conduit pas à celle des êtres. Je ne souhaite, Ottilia, que voir le mot bonheur retrouver pour vous quelque réalité, dit-il, sincère.
     
    Elle posa sur l'ingénieur un regard où il lut autant de dédain que de commisération.
     
    – Vous autres, Français, avez l'art de mettre du tragique partout, répliqua-t-elle avec un rire nerveux, inattendu.
     
    La volte-face surprit Charles, qui se leva à son tour.
     
    – Allez fumer votre cigare, Monsieur l'Ingénieur. Et sachez que cette affaire n'a pas autant d'importance que vous l'imaginez, conclut-elle.
     
    Elle quitta le salon dans l'envol bruissant d'une parure dont elle avait escompté meilleur effet.
     
    Charles Desteyrac demeura seul un moment, s'efforçant de pénétrer le mystère d'une personnalité à la fois fascinante et effarante. Le mot affaire, sans doute choisi à dessein, réduisait l'union future de lady Ottilia avec Edwin Sampson à une banale transaction, du genre de celles que traitaient habituellement les Cornfield. « Cette femme, dont la beauté tient à l'harmonie vénusienne de ses formes, à l'équilibre irréprochable de ses traits, à l'étonnante modulation de ses regards, attire autant qu'elle inquiète », reconnut-il en rejoignant les hommes au fumoir.
     
    Un peu plus tard, au moment d'aller dormir, Charles eut l'occasion d'un aparté avec Malcolm Murray. Il rapporta à l'architecte l'entretien qu'il avait eu avec sa cousine.
     
    – Chez Ottilia,

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