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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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foule élégante circulaient des couples que le général Ward Mac Allister, arbitre et ordonnateur des réjouissances de la haute société, classait dans la caste très fermée des Four Hundred . Les membres de cette coterie privilégiée affichaient des goûts raffinés, une moralité irréprochable – les divorcés étaient exclus – et, surtout, une fortune considérable dont le Beach's Book révélait chaque année le montant dans la liste des huit cent cinquante citoyens les plus riches de l'Union. La présence de tels nantis, qui se déplaçaient rarement hors de leur cercle, réjouit Jeffrey T. Cornfield. Le banquier démontrait ainsi, à l'occasion des fiançailles d'une cousine bien née, l'importance du crédit financier et mondain dont il jouissait, de Wall Street à Washington Square.
     
    Le fait que lady Ottilia fût la fille de lord Simon Leonard Cornfield, baronet, chevalier du très noble ordre de la Jarretière, propriétaire dans les Bahamas d'une île échue à ses ancêtres grâce au roi Charles II d'Angleterre, avait, plus que la réputation du banquier puritain, décidé ces seigneurs des chemins de fer, princes du sucre, marquis de l'anthracite, barons de l'acier, vicomtes de la spéculation immobilière, ainsi que plusieurs membres du Knickerbocker Club, descendants supposés des pèlerins du Mayflower , à répondre à l'invitation de Jeffrey. Ce soir-là, les millionnaires se comptaient par douzaines autour des fiancés, la représentation intellectuelle étant assurée par deux membres de l'American Philosophical Society, la plus ancienne association de l'Union, fondée en 1743 à Philadelphie par Benjamin Franklin.
     
    Jamais Otti la Rebelle n'avait été aussi à l'aise dans son rôle de perfect lady . Sa beauté attique parée d'une robe de mousseline isabelle, bordée au décolleté et dans le bas d'un ruché de tulle noir, focalisait tous les regards. On entendait dire et répéter que la fille de lord Simon Leonard Cornfield et le sous-lieutenant Edwin Sampson, en uniforme de gala, spencer gris sur pantalon blanc, formaient le couple idéal. Autour d'eux, les hommes arboraient l'habit de rigueur et les femmes, derrière leur face-à-main, évaluaient les toilettes des amies et connaissances. Robes de soie, de velours, d'organdi, aux tons pastel, bleu céleste, gris tourterelle, safran pâle, vert réséda ; indiennes brodées ; berthes à franges ; dentelles de Bruges ; voiles de taffetas imprimé ; flots de tulle ; chapeaux enrubannés ou garnis de fruits, d'oiseaux, de roses, de plumes d'autruche ; souliers de satin : toutes avaient sacrifié à la mode de l'année, prodigue en fanfreluches. Figées dans une attitude guindée, quelques dames observaient une prudente immobilité pour ne pas compromettre l'équilibre de diadèmes, parfois de tiares, acquis à Londres chez un orfèvre connu des altesses découronnées et des courtisanes répudiées.
     
    – Ces vieilles poules ignorent sans doute qu'on n'exhibe ce genre de bijou qu'aux bals donnés à la cour d'Angleterre, grogna lord Simon.
     
    L'honorable Malcolm Murray, jeune premier à toison blonde et bouclée, portait l'habit avec l'aisance innée de l'aristocrate authentique et maîtrisait si bien sa boiterie qu'elle passait maintenant inaperçue. Son nom, sa distinction, sa parenté avec la fiancée suscitaient l'intérêt des mères, promptes à présenter aux célibataires leurs filles à marier.
     
    Malcolm entendit la réflexion de lord Simon et intervint.
     
    – Tiares et diadèmes ne sont rien, mon oncle. Savez-vous que la femme d'un tonnelier qui, ne faisant aucune confiance aux banques, a empilé quinze millions de dollars dans une cuve de sa fabrication, attache ses bas avec des jarretières piquetées de diamants !
     
    – Il doit faire bon lui tenir la jambe, plaisanta Simon.
     
    – Il y a autour de nous plus de pierres précieuses que mes coffres n'en pourraient contenir, glissa Jeffrey, l'œil pétillant, à l'oreille de son cousin.
     
    – Cela ferait bien l'affaire des petits malins qui ont raflé pour douze mille livres sterling de lingots d'or entre Londres et Paris ! ricana Cornfield.
     
    Le vieux lord faisait allusion au vol le plus sensationnel du siècle, que toute la presse anglo-saxonne exploitait depuis des semaines 1 .
     
    Malgré l'air revêche qu'il affichait quand on lui présentait des gens dont il se souciait peu de retenir le nom et qu'il saluait d'une grimace

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