Le Pont de Buena Vista
on ne sait quoi au juste, est la chute. S'il tombe et ne peut se relever à cause du lest, la toile caoutchoutée de l'habit peut se plaquer sur son corps. L'air que j'envoie par la pompe remonte alors dans le casque, la pression y devient insupportable, la tête enfle, éclate : c'est une mort atroce assurée. Aussi suis-je bien aise que vous soyez là. Vous êtes instruit de notre travail et des risques qu'il comporte, au contraire des primitifs et des sans-cervelle qui nous regardent, dit l'Anglais.
Charles avisa soudain, parmi les insulaires, Sima, le pêcheur d'éponges. Il lui fit signe d'approcher.
– Miss Ounca Lou est venue me voir ce matin. Quand je lui ai dit que j'allais à la fuente del Ángel voir les scaphandriers, elle a pensé que vous seriez là et m'a demandé de vous dire que tout va bien à Buena Vista.
– N'as-tu pas envie d'un scaphandre pour aller aux éponges ? demanda l'ingénieur.
– Oh que non ! Être lourd, c'est bien pour descendre ; moi, je m'attache bien une grosse pierre, mais pour monter, si ça va pas, je laisse tomber la pierre. Tandis que ce pauvre homme, dans son habit de caoutchouc et son casque de cuivre à fenêtres, hein, qu'est-ce qu'il devient si ça va pas ? Il reste au fond et les requins le mangent ! Et puis, déranger les trolls qui habitent les trous bleus, c'est pas bien. Ils sont gentils avec les filles vierges, mais méchants pour les hommes et les femmes déflorées, assura, péremptoire, l'Arawak.
Plus instruit que la majorité des indigènes, ayant navigué au commerce et visité plusieurs pays, cet homme pieux, membre de l'Église anglicane, restait cependant sensible aux superstitions insulaires.
Un grand silence se fit quand le scaphandrier entra dans l'eau. Relié à la pompe à air par un tuyau de caoutchouc, la grosse corde qui permettrait de le remonter attachée à sa ceinture, et tenant en main la cordelette à signaux, seul moyen de communication avec son équipier, Jim Malory se laissa glisser sans appréhension dans le trou bleu.
Bartley tendit à Charles la cordelette de sécurité.
– Nous avons un code. Une secousse signifie : ça va ; deux : envoyez plus d'air ; trois : envoyez moins d'air ; quatre : remontez-moi ; cinq : je suis en danger. Si vous voulez bien tenir la corde de sûreté pendant que j'actionne la pompe à air, vous nous rendrez service, car c'est un poste de confiance, monsieur Desteyrac.
Charles saisit le filin et vit disparaître Jim Malory tandis que se déroulaient le tuyau et les cordes. Quand la conduite d'air cessa de s'enfoncer, on sut que le plongeur avait atteint le fond du trou.
– Pas très profond, votre piège à monstres ! À peine cinquante pieds, dit Bartley, quand une secousse de la corde à signaux indiqua que tout allait bien. Il ne nous reste plus qu'à attendre que Jim ait terminé sa recherche, reprit-il en actionnant la pompe avec régularité.
De longues minutes s'écoulèrent tandis que de légers mouvements du tuyau d'air indiquaient les déplacements du scaphandrier sur le fond du trou.
– Tout semble bien se passer, venait de commenter Bartley, quand Charles perçut quatre secousses.
Jim demandait à remonter. Aussitôt, Bartley abandonna la pompe et se mit à tirer posément sur la corde de rappel, jusqu'au moment où elle se tendit et s'immobilisa.
– God'dam' ! Elle est coincée, dit-il en effectuant une prudente traction sur le tuyau d'air.
Aussitôt, cinq secousses frénétiquement répétées alertèrent Charles.
– Il fait savoir qu'il est en danger ! cria-t-il à Bartley, qui avait pâli dès l'interruption de la remontée.
– Le conducteur d'air est peut-être pris sous un rocher. Si je tire, je risque de l'arracher du scaphandre et c'est la catastrophe ! débita l'Anglais.
Dans la main de Charles, les secousses de la corde à signaux traduisaient l'angoisse de l'homme immergé.
» J'aurais un autre scaphandre, je descendrais, mais, hélas… ! » répétait Bartley.
Conscient du drame qui se jouait, Charles tendit la corde de sûreté à Bartley et fit signe à Sima d'approcher. En trois phrases, il le mit au courant de la situation.
– Tu es le meilleur plongeur de l'île. Tu es celui qui peut rester le plus longtemps sous l'eau sans respirer, m'a-t-on dit. Eh bien, plonge et va voir ce qui se passe. Va voir si tu peux délivrer Malory, qui doit
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