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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'attention, presque de défiance.
     
    – Avec vos vêtements, ils vous prennent pour un fonctionnaire de la Couronne ou un ethnographe américain. Nos Indiens voient chaque année des agents britanniques et des professeurs de Harvard ou de Cambridge. Les premiers dénombrent les décès et les naissances pour mettre à jour le recensement de l'archipel, les seconds étudient la façon de vivre, de se nourrir, voire de s'accoupler de nos Indiens. Ils mesurent leur taille, comptent leurs dents, posent d'indiscrètes questions sur la fécondité des femmes. D'après ces savants, la tribu des purs Taino, les premiers Indiens que Colomb rencontra sur Guanahani en 1492, serait en voie d'extinction du fait des massacres par les Carib, des déportations par les Espagnols puis des multiples métissages, expliqua Tilloy.
     
    Connaissant l'étiquette locale, l'officier demanda la carte de visite de Charles, la joignit à la sienne et envoya le cocher porter les bristols au cacique, assis sur le seuil de sa case entre deux femmes.
     
    – Maoti-Mata est un charmant vieillard, sans âge, et un vrai sage. Il lit et écrit l'anglais, parle espagnol et doit connaître quelques mots de votre langue, car il a beaucoup bourlingué dans les Antilles. Il a aussi travaillé à Cuba dans une fabrique de cigares. Il collectionne, dans un cahier, les cartes des visiteurs. Il y a deux ans, lord Simon lui a offert le voyage de sa vie pour visiter l'Exposition universelle à Londres. Notre Lucayen a vu la reine Victoria, accompagnée du prince Albert, et a reçu une médaille commémorative qu'il porte en sautoir, glissa Mark à Charles.
     
    À pas mesurés, les deux hommes suivirent le jeune garçon envoyé à leur rencontre par le notable, assis à l'ombre dans la posture hiératique d'un seigneur en majesté.
     
    Le vieillard, sec et noueux, portant barbiche, ce qui le distinguait des Arawak du commun, reçut fort aimablement les voyageurs dès qu'il sut que le Français, nouveau venu dans l'île, était là pour construire un pont et non pour observer les Indiens comme s'ils étaient des animaux sauvages. Desteyrac vanta la beauté physique et la gentillesse des Taino de la nation des Arawak, et demanda s'il pourrait faire travailler quelques-uns d'entre eux quand le besoin d'ouvriers se ferait sentir.
     
    – Je les désignerai moi-même et vous serez content de leur travail. Seulement, c'est à moi qu'il faudra remettre leur salaire, dit le vieillard d'une voix douce mais ferme.
     
    Il offrit ensuite aux visiteurs un verre de vin de palme fortement épicé, et, se levant avec l'aisance d'un jeune homme, tint à les conduire dans sa case, devant le portrait photographique de la reine Victoria qui, dans un cadre de coquillages, occupait au mur la place d'honneur, entre une vue du Crystal Palace, clou de l'Exposition de 1851, et une aquarelle de la tour de l'Horloge. Figuraient aussi, parmi les souvenirs rapportés de Londres que le vieillard montra avec la déférence accordée aux reliques, une longue-vue « pareille à celle de l'amiral Nelson », précisa-t-il avec fierté, un stick ayant appartenu au prince de Galles, et un bonnet d'ourson, cadeau d'un cavalier des Life Guards.
     
    – Il se coiffe du bonnet les jours de cérémonie et brandit son stick comme un sceptre, souffla Tilloy.
     
    Raccompagnés jusqu'à leur voiture par le fils aîné du cacique, les deux hommes reprirent la route.
     
    – Il ne me plaît guère de verser le salaire des ouvriers à ce vénérable vieillard. Je le soupçonne de vouloir prélever une commission au passage, observa Charles.
     
    – Je ne le pense pas. Chez les Arawak, le cacique est le représentant reconnu de sa communauté auprès des autorités britanniques, c'est-à-dire auprès du gouverneur des Bahamas, qui le reçoit une fois l'an, au jour anniversaire de la reine. Il est aussi juge de paix, banquier et thaumaturge. Croyez-moi, il gère avec scrupule l'argent gagné par ceux qui acceptent sa protection patriarcale, car aucun Arawak n'est obligé de reconnaître le pouvoir temporel de ce dernier chef indien. Pouvoir limité que la loi tolère par respect pour les habitudes ancestrales des indigènes les moins évolués.
     
    – Et que fait ce sachem-banquier des fonds collectés ?
     
    – Il répartit l'argent en fonction des besoins des intéressés et de leur famille. Cela relève du droit coutumier. Nous-mêmes versons au cacique les salaires des Arawak que nous

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