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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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peu, les méthodes utilisées au Pendjab, au Bengale et au Sind n'ont pas cours à Soledad, conclut un peu sèchement l'officier.
     
    Le soleil approchait le zénith quand apparut, sur le plateau côtier, le bourg de Southern Creek, le plus proche de la faille, but du voyage. La voiture contourna les habitations aux murs de torchis et toits de palmes. Retrouvant toute sa courtoisie, Tilloy désigna, au pied d'une petite falaise, une crique qu'on eût dite tracée au compas.
     
    – C'est Sharks Bay, justement nommée, car les squales s'y rassemblent parfois. Il ne fait pas bon y plonger, même si, à quelques mètres de profondeur, on trouve, accrochées aux rochers, les meilleures éponges. Les pêcheurs de lady Lamia sont les seuls à s'y aventurer quand elle décide, avec ses femmes, d'attirer les requins loin de cette crique par un procédé de son invention, dit Tilloy.
     
    – C'est donc bien une sorcière, cette lady Lamia ! badina Charles.
     
    – En fait, elle ne fait qu'utiliser une décoction à base de sang de mouton, de chair de poisson broyée et de je ne sais quel autre ingrédient, recette d'un pirate dont l'histoire maritime n'a pas retenu le nom et que notre lady a trouvée dans quelque grimoire, confia Tilloy.
     
    À l'approche du pertuis qui séparait les deux îles, Charles Desteyrac cessa d'être le promeneur émerveillé pour redevenir l'ingénieur, constructeur de ponts. Maintenant commençait sa mission. Se trouver à pied d'œuvre dans un tel décor exotique lui fit battre le cœur. Quand la voiture s'arrêta, il sauta prestement à terre et courut plus qu'il ne marcha jusqu'au bord de la faille. Bien que peu profonde, cette tranchée dans la dalle corallienne, stigmate d'une antique turbulence de l'écorce terrestre, lui parut à la fois sauvage et attirante, comme l'antre de Circé. Ce canal naturel méritait bien le nom de Devil Channel.
     
    Une cinquantaine de pieds séparaient l'île de l'îlot au plus étroit de la faille. C'eût été peu s'il se fût agi d'un cours d'eau de France ou d'Angleterre, mais, dans le site insulaire hérissé de rocs, balayé par le vent du large qui forçait les jeunes palmiers à pousser inclinés comme pour une révérence au couchant, une telle fosse pouvait paraître infranchissable. Aspergé d'embruns sur fond de roulement de vagues, Charles Desteyrac se prit à imaginer un pont entre ces rives sauvages. Au cours d'un stage, il avait assisté un ingénieur savoyard habile à lancer avec audace des passerelles sur les torrents de sa province. Ici, le lieu impressionnait surtout par l'environnement maritime, mais jeter un pont sur une tranchée, fût-elle habitée par l'océan, ne constituait pas un défi technique insurmontable. Penché sur le vide, il vit, entre des parois striées d'anfractuosités, cicatrices du roc attestant l'arrachement de l'îlot, un amas rocailleux, vestige de l'arche naturelle depuis longtemps effrondée. Tel était le lit tourmenté du cañon, profond d'une dizaine de mètres. Pour l'heure, la houle de l'océan s'y glissait aussi paisiblement qu'une rivière dans une écluse.
     
    – Le courant n'a pas l'air bien méchant, fit remarquer Charles à Tilloy qui venait de le rejoindre.
     
    – C'est que nous sommes à marée basse et par alizé, un vent de demoiselle. Le temps le plus calme que l'on puisse rêver en hiver. Les eaux de l'océan l'emportent donc, sans effort ni violence, sur celles qui baignent l'intérieur de l'archipel. Mais qu'un northern – fort vent du nord issu des anticyclones qui, en cette saison, se développent sur l'Amérique du Nord – descende jusqu'à nous, et vous verrez d'énormes vagues battre la côte ouest et se précipiter dans la faille à la rencontre de celles venues du large. Leur affrontement est spectaculaire. Par gros temps et grande marée, le heurt de ces masses liquides antagonistes, se déchirant sur les rocs, produit un puissant jaillissement, une sorte de geyser qui s'élève bien au-dessus des rives bientôt noyées. D'ailleurs, les algues et les petits coquillages que vous voyez sous nos pieds sont les résidus de la dernière haute mer, et les grands palmiers couchés derrière nous, que nos Indiens vont s'empresser de débiter, sont les victimes de l'ouragan de novembre dernier, expliqua Tilloy.
     
    Méditatif, Charles Desteyrac compara avec curiosité, et non sans étonnement, l'ample houle bleue de l'océan aux timides ondulations des eaux turquoise du

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