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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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îles.
     
    – C'est encore le cas sur notre voisine Eleuthera, où une voûte rocheuse enjambe le détroit qui, dans la partie la plus étroite de l'île, entre Gregory Town et Bogue, la sépare des Spanish Wells, au lieu-dit Glass Window 2 . Mais, sur Soledad, l'érosion est venue à bout de l'arche qui nous reliait à Buena Vista, exposa Tilloy.
     
    – Nos Arawak ne croient pas à l'usure des roches par l'océan. Ils disent que l'arche naturelle entre notre île et Buena Vista s'est effondrée parce que les pirates, qui habitèrent l'île jusqu'au commencement du XVIII e  siècle, cantonnaient les ribaudes et les captives enlevées au cours de leurs expéditions sur l'îlot, dont elles ne pouvaient sortir. Seuls les pirates franchissaient le pont pour aller jouir, de gré ou de force, de ces malheureuses. Buena Vista était alors un lieu réservé à la débauche. Une sorte de bordel, précisa Uncle Dave.
     
    – C'est pourquoi les puritains qui succédèrent aux pirates, chassés de l'archipel par le gouverneur Woodes Rogers entre 1720 et 1732, voyaient dans la destruction du pont naturel par l'océan une punition divine. Ce sont eux qui nommèrent Devil Channel la faille que nous allons voir, compléta l'officier.
     
    Enchanté d'avoir l'occasion, trop rare à son goût, de bavarder avec des hommes instruits, le médecin n'avait pas tout dit.
     
    – Sachez encore, Monsieur l'Ingénieur, que, du fait de sa mauvaise réputation, Buena Vista resta une île déserte jusqu'à ce que lady Lamia Cornfield, qui n'est ni puritaine ni superstitieuse, décidât de s'y installer.
     
    – Si nos Arawak ne croient pas à l'érosion, ils croient aux esprits et aux revenants. Ils assurent que le fantôme d'une belle captive anglaise, qui se jeta dans Sharks Bay pour sauver sa virginité, défend à jamais l'indépendance territoriale de l'îlot. D'où la supposée malédiction qui pèserait sur les ponts. On a d'ailleurs fait de cette fable une chanson bahamienne, dit Tilloy.
     
    – Dès qu'un pont est construit, la vertueuse suicidée convoque tempête et ouragan pour le détruire ! C'est en tout cas ce que chantent, au cours de leurs fêtes, les gens de Buena Vista. Vous voilà prévenu, monsieur Desteyrac ! s'exclama le médecin en riant.
     
    – Je me suis toujours très bien entendu avec les fantômes, docteur. J'essaierai de séduire la défunte vierge pour qu'elle m'assiste dans une entreprise des plus honnête, répliqua gaiement Charles.
     
    – Efforcez-vous déjà de plaire à lady Lamia ; le reste, à mon avis, vous sera donné par surcroît, conseilla David Kermor, sibyllin.
     
    Il fit ensuite promettre aux deux hommes de revenir un jour prochain partager son dîner.
     
    Après un temps de grand trot sur la route, dont le revêtement de corail concassé crissait sous les roues de la voiture, Mark Tilloy ordonna au cocher de prendre, à gauche, un étroit chemin.
     
    – Nous ne pouvons éluder la visite protocolaire au cacique des Taino, les plus fiers de nos Arawak. Dans votre situation, ignorer ce notable, que nous appelons traditionnellement The Old Gentleman, constituerait une offense pour toute la communauté indienne. Et puis, sans lui, vous auriez peut-être du mal à recruter des ouvriers arawak, les moins paresseux de nos îliens. Les gens que nous avons vus dans les champs ont déjà dû signaler le passage du carrosse de lord Simon Leonard Cornfield. Nous devons donc faire halte au dernier village taino de l'archipel. C'est une curiosité anthropologique que lord Simon protège.
     
    La voiture approcha bientôt des canayes, habitations traditionnelles des Arawak. Ces cases rondes au mur de bois, à toit conique fait de palmes jointes que soutenait un pilier central, n'avaient qu'une seule ouverture. Chaque famille possédait la sienne et les parents des mariés devaient en construire une pour le nouveau couple, à l'emplacement que le cacique, urbaniste épris de symétrie, indiquait dans le village, développé en cercles concentriques autour d'une place plantée de palmiers. La voiture s'immobilisa au milieu de cette esplanade centrale, que les habitants étaient tenus de ratisser chaque matin à tour de rôle. Des enfants, curieux et rieurs, accourant par les ruelles qui convergeaient vers la place, vinrent caresser les chevaux et observer de près, avec aplomb mais sans insolence, les visiteurs. Charles, plus que Tilloy, déjà connu des villageois, fut l'objet

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