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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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Bembo.
    Foscari garda le silence.
    De tragiques pensées évoluèrent en ce moment dans le cerveau de cet homme. Il voyait d’un coup s’effondrer son rêve de puissance comme il avait vu s’effondrer les tours de feu qui s’élevaient dans le brasier de la cheminée.
    Il voyait déjà triomphantes les conspirations qu’il devinait autour de lui.
    « C’est le coup fatal ! » murmura-t-il enfin.
    Et ils échangèrent un long regard plein d’angoisse.
    Puis, lentement, le doge reprit la lettre qui s’étalait sur la table.
    Maintenant, il voulait être sûr du malheur, il était avide d’en connaître les détails… Il tendit le papier à Bembo et lui dit :
    « Lis… lis tout… Je veux savoir… »
    Et Bembo, d’une voix basse comme s’il eût récité quelque
requiem
monotone, se mit à lire :
    L’illustre Jean de Médicis est mort… Ce cher seigneur, objet de ma profonde affection et de mon admiration sans bornes, a expiré pour ainsi dire dans mes bras, ou tout au moins sous mes yeux [4] . Il a été frappé d’un coup de fauconneau à la jambe mardi matin en approchant des remparts de Governolo

d’autres disent d’un coup de pistolet. Avec son ordinaire témérité, il s’était avancé presque seul, accompagné pour toute escorte de deux officiers. Ses deux compagnons tombèrent les premiers. Il fut frappé, lui troisième, par un homme qui n’était pas de Governolo, que nul ne connaît. Pourtant, plusieurs affirment que cet homme est Vénitien, et certains vont même jusqu’à jurer qu’ils auraient
reconnu en lui le fils de l’un des anciens doges de Venise…
    « Roland Candiano ! murmura Foscari avec un sourire livide.
    – Fatalité ! gronda Bembo.
    – Continue ! continue !… »
    Bembo reprit sa lecture :
    A peine avait-il reçu le coup fatal, toute l’armée fut frappée de mélancolie et de terreur. Adieu à l’audace et à la joie ! Chacun s’oubliant soi-même se plaignait du sort qui menaçait ce noble duc au commencement de ses nouveaux exploits. On parlait de son âge à peine mûr, de ses vastes desseins, de ce qu’il aurait pu accomplir, et de son intrépidité sans égale, et de sa prévoyance, et de sa fureur guerrière, et de son astuce admirable. Enfin, la neige tombait sous l’ardeur de ses plaintes universelles [5] .
    Porté dans Governolo, il est ensuite rendu à ses valeureux soldats qui viennent le chercher en pleurant et l’emportent au camp. Alors Jean de Médicis demanda à être transporté dans Mantoue auprès de Frédéric de Gonzague qui, bien que son ennemi, voulut le recevoir.
    Nous nous mîmes en route, tout pleurant, et bientôt nous entrâmes dans Mantoue ; la civière fut portée au palais et Jean fut mis au lit. Il faisait nuit. Alors, je m’approchai de lui en lui disant :
    Je ferais injure à votre grande âme si je vous parlais de la peur de la mort et si je voulais vous persuader ce que vous savez déjà. Le plus grand bien de la vie c’est d’agir librement ; que ce soit donc de votre gré et par une résolution toute personnelle que
vous vous laissiez opérer. En huit jours vous serez guéri. Vous porterez la béquille sans doute, mais ce sera pour vous une marque d’honneur.

Eh bien ! qu’on en finisse, s’écria-t-il.
    Les vomissements le prirent presque aussitôt. Il dit :
« 
Voici les grands symptômes, ce n’est plus à la vie qu’il faut penser. »
Puis, joignant les mains :
« 
Je fais vœu d’aller à Compostelle. »
Et ils ordonnèrent qu’on cherchât huit ou dix hommes pour tenir le patient. Il se mit à sourire :
« 
Vingt hommes ne m’effraieraient pas »
,
dit-il.
    Se levant d’un air assuré, il prit lui-même le flambeau et le tint pendant qu’on lui coupait la jambe. Je m’enfuis en me bouchant les oreilles. Cependant, j’entendis qu’il m’appelait ; je revins.
« 
Je suis guéri ! »
s’écria-t-il.
    Il se fit apporter sa jambe coupée et se mit à jouer avec elle et à se moquer de nous.
    Mais deux heures après, les douleurs reparurent. Comme je l’entendais se démener dans sa chambre, je me rhabillai, car j’étais couché, et j’accourus. Il avait le délire et répéta à diverses reprises une phrase que j’ai retenue :
    – Pourquoi, disait-il, ai-je choisi le crime et non la justice ?… Seigneur ! Seigneur ! Voici le justicier qui vient !… »
    Bembo s’arrêta, haletant.
    « Le justicier qui vient ! répéta Foscari

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