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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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le colosse qu’il avait renversé, à qui il avait fait grâce.
    « Voyons, dit-il, raconte-moi tout, et surtout, ne mens pas !
    – Monseigneur, dit Scalabrino tristement, au moment de mourir, on ne ment point. D’ailleurs, je m’étais repenti, je vous le jure ! Mon repentir était sincère. Il datait du moment où vous m’avez dit : « Tu n’as pas eu peur, je te fais grâce ! » Dès ce moment, voyez-vous, j’eusse voulu mourir pour vous… Rappelez-vous ! J’ai voulu vous parler… mais vous, vous avez refusé de m’entendre !
    – C’est vrai, je me souviens. Et que m’aurais-tu dit ?
    – Je vous aurais dit, monseigneur, que cette femme… celle que vous avez délivrée…
    – La courtisane ?
    – Oui, c’est cela. Eh bien, elle nous avait apostés là pour nous emparer de vous. Mais nous ne devions pas vous faire de mal… Cette femme voulut sans doute voir comment ses ordres seraient exécutés. Elle vint ! Mes hommes la virent. Les bijoux les tentèrent. Ils l’attaquèrent ; elle cria ! vous savez le reste… Mais ce que vous ne savez pas, monseigneur, c’est ce qui se passa après votre départ… Le lendemain ce devait être le jour de vos fiançailles… Eh bien, cette nuit-là, donc, lorsque vous fûtes parti avec la courtisane, je fus abordé par un homme qui me dit : « Tu es Scalabrino ; tu es condamné ; ta tête est à prix : veux-tu avoir grâce pleine et entière ? Veux-tu, par-dessus le marché, gagner beaucoup d’or ? Tout cela ne tient qu’à toi. » – « Que faut-il faire ? » demandai-je – « Demain soir, venir place Saint-Marc avec le plus de monde que tu pourras, et crier à tue-tête : Vive Roland Candiano ! » – « Parbleu ! dis-je, s’il ne faut que crier Vive Roland Candiano, mon compte est bon. Je le crierai de bon cœur, même si on ne me paie pas… » – « Tout va bien ! » dit alors l’homme.
    – Quel était cet homme ? demanda Roland.
    – Je ne l’ai jamais su, monseigneur !
    – Continue…
    – L’homme me paya, poursuivit Scalabrino. Mais quand il m’eut payé, il ajouta : « Il sera bon que vous soyez armés d’arquebuses. Si vos cris attirent les hommes d’armes et qu’ils veuillent vous empêcher d’acclamer Roland Candiano, quelques bonnes arquebuses seront les bienvenues… » Ce fut là mon vrai crime, monseigneur. Car ce fut grâce à mes cris que la bataille s’engagea entre le peuple et les hommes d’armes. Le peuple fut vaincu. Et le lendemain nous apprenions votre arrestation… Mais ce n’est pas tout !… Le soir de la bataille, dit Scalabrino, le même homme qui m’avait parlé dans l’île d’Olivolo se dressa tout à coup près de moi, me montra une femme et me dit : Enlève cette femme, et tue-la !… J’enlevai la femme, monseigneur… mais je ne la tuai pas ! Pourquoi ? Par quel miracle ? Je ne sais !… Mais je ne la tuai point ! Et je pleurai de joie, je pleurai de bonheur lorsque cette femme m’eut dit qui elle était !…
    – Qui était-ce ? fit Roland, livide.
    – C’était votre mère, monseigneur, qui s’était jetée sur la place Saint-Marc pour appeler le peuple à votre délivrance ! »
    Un râle déchira la gorge de Roland Pendant une demi-heure, il se débattit contre cette douleur nouvelle. Puis, par degrés, un sentiment plus acerbe envahit son âme… C’étaient les premières atteintes de la haine.
    « Tu disais donc, reprit-il enfin, que ma mère voulut me délivrer ?
    – Oui. Mais autant eût valu essayer de renverser la cathédrale d’un coup d’épaule. Le peuple fut dispersé. Votre mère se réveilla chez moi. Elle me demanda si je voulais l’aider à vous sauver, et moi je lui répondis que je me donnais à elle corps et âme… »
    Roland tendit sa main au condamné.
    « Tu es un homme ! » dit-il.
    Scalabrino le regarda avec étonnement.
    « Je sortis pour exécuter les premiers ordres de votre mère. Au détour d’une petite rue, je fus assailli par une vingtaine de sbires. Renversé, lié, réduit à l’impuissance, je fus jeté sous les plombs. Puis on m’apprit que j’avais la vie sauve à cause de ce que j’avais fait le soir de vos fiançailles. Puis je n’entendis plus parler de rien. Et voilà, monseigneur !… »
    Un silence poignant suivit ces paroles.
    Dans l’esprit de Roland se levait aussi l’aurore blafarde d’un dernier effort vital. Il était résolu à mourir, à se tuer. Puisque

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