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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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mouvement que la barque faillit chavirer. Le géant tremblait sur ses jambes.
    « Bianca est ta fille, dit gravement Roland.
    – Quoi ! cette enfant si belle, avec ses yeux bleus si profonds…
    – C’est ta fille, Scalabrino.
    – Cet ange… ma fille !… Oh ! monseigneur, pardonnez, c’est plus fort que moi. »
    Scalabrino se prit à sangloter doucement.
    Roland se leva, saisit la rame et poussa vivement la gondole vers le quai. Scalabrino redressa la tête au moment où la gondole touchait. Il vit la terre, sauta sur le quai, s’enfuit avec ce besoin impérieux de solitude qu’on a dans les grandes douleurs et les grandes joies.
    Roland regarda avec mélancolie la silhouette du colosse s’effacer dans la nuit.
    « Pauvre être ! murmura-t-il. Tant d’années de misère et une seule minute de joie sans mélange !… Pleure, oui, raconte à la nuit ton bonheur !… Demain, tu souffriras encore ! »
    Alors, il sauta légèrement à terre, se dirigea vers les palais du Grand Canal. A mesure qu’il avançait, sa marche se faisait plus hésitante. Il s’arrêta enfin près d’un palais où tout était sombre et silencieux.
    Et avec un long frisson, il leva la tête vers les fenêtres closes… Ce palais, c’était celui du capitaine général Altieri.
    « Que suis-je venu faire ici ? murmura-t-il. Eh bien, es-tu content, pauvre cœur ulcéré ! Tu bats violemment parce que tu te trouves si près de son cœur à elle, ou parce qu’il te semble qu’il en est ainsi… Quand je pense que depuis six ans il ne s’est pas écoulé une minute où son image n’ait été présente à ma mémoire !… Et elle, que pouvait-elle bien penser ?… Bah ! ce que pensent les femmes… Hélas ! hélas !… Si je pouvais donc, moi aussi, oublier, dormir ! »
    Cette nuit-là eut une influence décisive sur sa vie. Ce fut dans cette nuit, nous l’avons vu, qu’il prit contact avec Imperia. Ce fut dans cette nuit que sa conjonction soudaine avec Bianca le fit dévier du chemin qu’il s’était d’abord tracé. Enfin, ce fut dans cette nuit qu’une nouvelle rencontre vint préciser son plan de bataille.
    Roland, en s’éloignant du palais Altieri, se dirigea vers le palais ducal et les prisons.
    Il détacha une gondole et s’avança vers le palais ducal.
    Bientôt, la sombre masse de la prison lui fut visible.
    Il poussa sa barque jusque sous le Pont des Soupirs. Alors il vit une chose que, de loin, il n’avait pu remarquer. C’est que le pont était soutenu par des échafaudages de madriers croisés.
    « On répare le dégât de la foudre et le dégât de Scalabrino, deux ouragans qui ont ébranlé le pont ! » pensa-t-il en souriant.
    Il attacha sa gondole à l’un des madriers qui plongeaient dans l’eau, puis, se hissant de traverse en traverse, en quelques minutes, il atteignit le pont à l’endroit où Scalabrino avait lancé son formidable coup de catapulte. Pour la nuit, les ouvriers qui travaillaient au pont bouchaient simplement l’ouverture avec des planches. Ces planches, Roland n’eut aucun mal à les écarter assez pour qu’il pût passer, et l’instant d’après il se trouvait sur le Pont des Soupirs.
    Roland possédait une force d’énergie exceptionnelle.
    Mais en mettant le pied sur le pont, il frissonna de la tête aux pieds et une sueur d’angoisse perla à son front. En quelques secondes, il revécut l’abominable scène de son arrestation… Puis, subitement, ses yeux cherchèrent dans l’obscurité la chaise de pierre : il la vit à quelques pas. Lentement, en proie à une sorte d’hallucination, il se dirigea vers elle, se laissa tomber à genoux, posa son front brûlant sur le granit poli, et là, sans doute, il se fit à lui-même quelque terrible serment, car lorsqu’il se releva, il murmura :
    « Soyez tranquille, mon père !… »
    Puis lentement, il recula vers l’ouverture par où il était entré.
    A ce moment, du côté de la prison, des pas se firent entendre.
    On montait vers le pont. Une lueur pâle apparut…
    Roland se blottit vivement derrière un amas de planches, et, pétrifié, la main crispée sur la garde de sa dague, attendit…
    A l’entrée du pont, deux hommes apparurent.
    Roland les reconnut immédiatement.
    L’un d’eux était Foscari, et l’autre Bembo.
    Le doge Foscari s’était arrêté devant la chaise de pierre, méditatif. Roland voyait en plein son visage que la lanterne de Bembo éclairait. Foscari avait à

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