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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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dormir. »
    L’inconnu s’accouda en effet de façon que son visage demeurât dans l’ombre, et parut reprendre son somme interrompu.
    Bartolo se leva, parut s’occuper pendant dix minutes des soins de son cabaret, puis sortit par la porte qui donnait sur l’allée latérale. Un instant plus tard, Bartolo se trouvait dans l’arrière-salle avec un homme.
    Il fit manœuvrer une sorte de judas qui demeurait invisible pour les buveurs de la salle commune et murmura :
    « Regarde, Sandrigo ! Tu vois ce colosse qui dort ?
    – Je le vois…
    – Eh bien, c’est Scalabrino. »
    Le bandit étouffa un formidable juron de joie.
    « Ce n’est pas tout. Il veut te voir !
    – Eh bien ! il me verra ! répondit Sandrigo d’une voix sinistre. La porte du dehors est fermée ?
    – Verrouillée.
    – La porte de l’allée ?
    – Cadenassée. Il ne s’en ira que si tu le veux.
    – Bien… La trappe ? »
    Bartolo se précipita et souleva le couvercle de la trappe.
    « Laisse-la ouverte ! dit Sandrigo. Bon. Maintenant, va me chercher tout ce qu’il y a de monde ici. »
    Bartolo rentra dans la salle commune. Il jeta un coup d’œil sur Scalabrino, qui paraissait toujours dormir. Il ne restait plus dans la salle que cinq buveurs attablés. Bartolo fit le tour des tables et esquissa un signe rapide en passant devant chacun.
    Puis il alla s’asseoir près de Scalabrino et murmura :
    « Sandrigo ne va pas tarder à arriver. Je vais faire place nette pour que vous puissiez causer à votre aise.
    – Voilà bien des attentions, maître Bartolo ! fit Scalabrino en ouvrant un œil soupçonneux.
    – Dame, je suppose que si vous voulez parler à Sandrigo, c’est pour affaire importante !
    – C’est vrai ! dit Scalabrino rassuré. Affaire importante…
    – Et pour vous ! » ricana le patron de
l’Ancre d’Or.
    Il se leva et se mit à gronder :
    « Allons, les retardataires, dehors ! Pas une minute de plus, ou sans ça, je n’ouvre pas demain ! »
    Comme s’ils eussent été effrayés par cette menace, les cinq buveurs se hâtèrent de vider leurs gobelets et sortirent par la porte de l’allée. Seulement, au lieu de tourner vers la rue, ils tournèrent vers l’arrière-salle où se trouvait Sandrigo.
    Bartolo poussa à grand fracas des verrous, grommela, gronda, puis revint dans la salle commune en disant :
    « Nous voilà complètement seuls. Tu n’as plus besoin de faire semblant de dormir, Scalabrino.
    – Ah ! fit tranquillement le colosse, tu m’as reconnu ? Penses-tu que Sandrigo tardera longtemps ?
    – Il est là, et si tu veux lui parler, tu n’as qu’à me suivre.
    – Où cela ?… Pourquoi ne vient-il pas ici ?
    – Ecoute, je ne sais pas, moi ! Il m’a dit qu’il t’attend, voilà tout. Maintenant, si tu ne veux pas, si tu n’as rien à lui dire, tu peux rester ici ou t’en aller à ta guise. »
    Scalabrino songea à ce que lui avait raconté Gianetto. En imagination, il vit la trappe, et il eut l’intuition rapide que c’est là qu’on cherchait à l’entraîner. Mais Scalabrino était d’une bravoure de fataliste. Il avait en sa force herculéenne une confiance sans bornes. Il hésita une minute, puis sourit.
    « Ils ne sont que deux, songea-t-il. C’est trop peu pour moi ! »
    « Allons ! » dit-il en se levant.
    Scalabrino suivit le patron de la taverne et entra résolument dans l’arrière-salle. Un rapide regard circulaire acheva de le rassurer. Il n’y avait, dans cette pièce, qu’un seul homme, Bartolo s’étant discrètement retiré. Et cet homme c’était Sandrigo.
    Il était assis à une table sur laquelle brûlait un flambeau et attendaient deux gobelets près d’un broc.
    Il était tourné vers la trappe demeurée ouverte.
    La table se trouvait à trois pas de la trappe.
    En sorte que Scalabrino, en s’asseyant en face de Sandrigo, devait se trouver à deux pas du trou auquel il eût tourné le dos.
    Scalabrino vit-il la trappe ? Eut-il conscience de cette sorte de mise en scène ? Fut-ce chez lui une bravade téméraire !… Il vint s’asseoir, très calme en apparence, à la place qui semblait lui avoir été réservée, en disant :
    « Salut, Sandrigo. Voilà longtemps que nous ne nous sommes vus.
    – Salut, Scalabrino, répondit gravement le bandit. Je suis content de revoir un vieux camarade. »
    Scalabrino paraissait très calme. En réalité, il faisait un effort considérable pour ne pas sauter à

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