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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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pensif, le bandit ajouta :
    « Il m’est impossible d’agir et de m’emparer de Roland si je ne puis user d’une certaine autorité. »
    Foscari était l’homme des promptes décisions.
    Il venait d’étudier Sandrigo. Il se disait que cet homme pouvait lui rendre de grands services et qu’enfin, pour le moment, il le sauvait en lui livrant Roland Candiano.
    « Et puis, ajouta-t-il en lui-même, nous verrons plus tard. Qu’il m’apporte, comme il dit, la tête de Roland, et je me débarrasserai ensuite de lui. »
    Sandrigo se taisait et attendait.
    « Ce que vous me demandez, dit enfin le doge, est énorme…
    – Je le sais, monseigneur. Mais la tête de Roland et la vie du cardinal Bembo valent bien un grade. Demain, lorsque
votre ami
(il appuya sur ce mot) sera ici devant vous, vous déciderez ensemble si je mérite ma lieutenance. »
    Foscari prit un parchemin et le remplit de sa main.
    Au moment de signer, il eut une dernière hésitation. Puis, brusquement, il signa, apposa un cachet et tendit le parchemin à Sandrigo qui, réellement ému, se courba en deux.
    « Monseigneur, dit-il, je suis entré en simple négociateur, j’en sors profondément dévoué à votre personne.
    – Soyez surtout dévoué aux intérêts de la république, dit Foscari en reprenant son rôle. Ainsi, demain, avez-vous dit ?
    – Demain, le cardinal-évêque de Venise sera ici et vous dira lui-même quel rude adversaire c’est que Roland Candiano ! Quant à Roland lui-même, dans un mois il sera en votre pouvoir.
    – Bien ! Allez,
monsieur le lieutenant… »
    Sandrigo tressaillit de joie et courut au palais d’Imperia.
    Celle-ci l’attendait, depuis l’avant-veille, dans une mortelle impatience. En effet le bandit, malgré sa promesse, avait laissé s’écouler la journée de la veille sans se présenter.
    Aussi, lorsqu’il arriva, fut-il introduit séance tenante.
    « Eh bien, madame, avez-vous réfléchi ? demanda Sandrigo.
    – Je vous attendais, voilà tout ! Je ne sais à quoi m’arrêter. Ma fille est en votre pouvoir… vous êtes plus fort…
    – Mais vous hésitez à la donner en mariage à un bandit ! Ne craignez pas de dire ce que vous pensez. D’ailleurs vous ne m’avez pas caché votre répugnance. Et voulez-vous que je vous dise une chose ?… C’est que votre répugnance me paraît des plus naturelles. Si j’étais à votre place, je penserais et j’agirais comme vous.
    – Que voulez-vous dire ? balbutia la courtisane.
    – Pas autre chose que ce que je vous dis là… Bianca est une personne trop accomplie, trop belle et trop pure pour devenir la femme d’un bandit. »
    Imperia, palpitante et angoissée, attendait, persuadée que Sandrigo jouait avec quelque terrible jeu d’ironie.
    Mais le bandit avait pris une physionomie de gravité qui stupéfiait la courtisane. Il continua :
    « Donneriez-vous votre fille à un homme qui occuperait une situation officielle et honorable dans la société vénitienne ? Par exemple, quelqu’un qui aurait un grade dans l’armée de Venise.
    – Oui, vous m’avez déjà parlé de cela ; mais c’est là une hypothèse irréalisable.
    – Que penseriez-vous de moi si je parvenais, à force de courage, d’audace et de ruse, à réaliser cette hypothèse ?
    – Je penserais que vous avez accompli une chose étonnante. Car tout s’oppose à ce que vous deveniez l’homme que vous dites.
    – C’est vrai, fit Sandrigo avec un sombre sourire ; tout s’y oppose, ma tête est à prix. Pour arriver au but que je me suis proposé, il me faudrait rendre à l’Etat quelque service éclatant. Et encore peut-être serait-ce insuffisant. Il me faudrait peut-être sauver de la mort quelque personnage haut placé… que dis-je ! le doge lui-même !… »
    Sandrigo, en parlant ainsi, s’animait.
    Et tout à coup, sortant le parchemin de son pourpoint, il le jeta devant Imperia, se leva et prononça :
    « Eh bien, madame, c’est fait. Voyez ! lisez ! »
    Imperia s’empara du parchemin et le parcourut. Elle ne fit aucun geste de surprise. Elle n’eut aucune exclamation.
    Depuis quelques instants, Sandrigo lui apparaissait capable d’entreprises plus grandes.
    Elle avait comparé Sandrigo à Roland Candiano.
    Et elle le jugeait plus fort. Ses yeux flamboyaient.
    « Vous voilà donc officier, dit-elle d’une voix tremblante. C’est beau, c’est grand et vous ferez plus encore. Ce que vous disiez, vous l’avez fait, je

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