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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’observaient, immobiles aussi, qu’il salua, la main sur son chaperon. Tristan connaissait l’un d’eux : Aubriot ; l’autre, uniformément vêtu de noir, du galeron 154 jusqu’aux heuses de daim ou de chevrotin, roulait lentement un grand parchemin et le glissait dans le tube de cuivre maintenu serré sous son aisselle.
    – Raymond du Temple auquel nous devons ce donjon… Du Temple !… Mais quoi, nous savons tous que ces gens-là savaient aussi bien empiler les pierres que les pièces d’or et d’argent !… Quant à Hugues Aubriot, je l’aime bien. On prétend çà et là que c’est un hérétique… Parce qu’il s’est enjuivé un peu trop… Moi, cela m’est indifférent : il sert le roi bonnement, bellement… N’est-ce pas suffisant ?
    – Si, messire, dit Tristan.
    Le seuil du donjon était gardé par deux vougiers qui, vu la chaleur, ne portaient ni mailles ni cuirasse de fer, mais une cotardie de drap bleu que la sueur assombrissait sous le cou et les aisselles.
    Tristan lut, entre les tranchants de leurs armes, cet avertissement tracé à la craie sur la conteine de la porte :
    Defanse d’entré sou paine de mort
    –  La mort, dit Boucicaut, est chez nous tellement familière, d’où qu’elle vienne, qu’il semble que les plus ignares des hommes d’armes et des manants soient capables de l’écrire sans faute !
    Puis, insistant sur l’intérêt que le roi portait à sa collection d’armes tout autant sinon plus qu’à celle de ses livres, il tira une clé de son haut-de-chausses et l’engagea dans une serrure ouvragée dont le foncet représentait, entouré d’un orle de fleurs de lis, le roi Jean à cheval galopant l’épée haute.
    – Allez, entrez… Ne perdons pas de temps, Castelreng !… Le roi pourrait se raviser : il est avaricieux de tout ce qu’il possède…
    La lumière pourtant profuse de midi franchissait à peine les fenêtres. Tristan ne vit tout d’abord que la longue tige du pilier central qui, après une blanche envolée, se ramifiait en de multiples nervures jusqu’aux voûtes lambrissées dont le chêne avait, çà et là, de ténébreuses lueurs. Ses yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, il put distinguer, sous les excroissances blêmes des culs-de-lampe qui soutenaient l’extrémité des grandes arches de pierre, des écus suspendus par leur guige et dont les blasons vernissés brillaient faiblement. Il reconnut celui du duc de Bretagne : échiqueté d’or et d’azur à la bordure de gueules, au franc canton d’hermine brochant. Or, la Bretagne était quasiment anglaise… Il baissa la tête, n’osant à peine croire que le roi, dans un accès de largesse dont Boucicaut s’ébahissait aussi, lui eût fait présent d’une armure. Lorsqu’il la releva, il fut saisi par l’aspect solennel de cette salle haute, fraîche, hardie dans sa conception, silencieuse comme un sanctuaire dont, enfin, il osa regarder les êtres.
    Quatre destriers de bois qu’on avait dû démonter pour les amener à l’étage, puis reconstituer sur place et parer de leurs sambucs et de leurs houssements s’affrontaient deux à deux, laissant entre les bardes de poitrail, les flançois et les bardes de croupe de leur harnois de métal, une ruelle où Tristan s’engagea sans remuer les épaules. Tous étaient chevauchés par un homme adoubé, lance au poing, dans l’attitude d’une course imminente. On eût pu les croire vivants, mais subjugués par un sortilège dans l’ombre miroitante des aciers rassemblés là, les uns peuplant la pièce et les autres les murs. Car on trouvait, exposés sur ces derniers, des épées de toutes tailles, des piques, fauchards, couteaux de brèche, guisarmes, haches, doloires et deux ou trois corsèques aux lames déployées de part et d’autre de leur longue pique.
    – Il doit bien y en avoir une vingtaine, dit Boucicaut montrant les armures en pied, figées sur leur socle, au-delà des jouteurs.
    Quelque chose de redoutable sourdait de cette confrérie d’entités de fer. Leur immobilité semblait fallacieuse. On eût dit que leurs cuirasses dissimulaient des chairs, des cœurs, des souffles différents de ceux des trois intrus dont l’irruption bruyante avait troublé leur solennelle assemblée. Derrière les étroites vues des heaumes et des bassinets, maints regards sombres les observaient, les défiaient, les interrogeaient sur l’objet de leur visite, et aucun de ces profanateurs n’eût été

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