Le poursuivant d'amour
maintenait dans un état de courroux permanent. Contrairement à Morsang, Buzet et Beltrame, ce hutin qui peut-être avait ambitionné l’écuyerie ne pouvait étouffer son dépit. Allait-il s’assagir et recouvrer sa gaieté de naguère ?
« Non », songeait Tristan passablement courroucé.
Depuis qu’ils vivaient ensemble, il s’était gardé, dans ses propos, d’exprimer son intention de se pourvoir d’un serviteur particulier. Maintenant qu’il s’était nanti d’un homme lige, Callœt s’estimait méjugé par rapport à Paindorge. L’aigreur du Breton le renforçait dans sa conviction d’avoir fait un bon choix. Il se leva de la trosse de foin sur laquelle il s’était assis et fit quelques pas vers le seuil de l’écurie ; puis, se retournant, mais à peine :
– Sache-le, une fois pour toutes, Callœt : Paindorge n’a point manœuvré pour exercer un office qui, crois-tu, aurait dû te revenir. Je l’ai… baptisé écuyer afin de me rehausser dans la considération dont Boucicaut voulait bien m’honorer. Sachez-le tous et faites-en votre profit : je me suis toujours passé, depuis mon adoubement, d’un serviteur bon seulement à porter mes armes et à me secourir quand je le jupperai (474) .
– C’est vrai, ça, dit Callœt. Il y a du chien dans tout écuyer. On le siffle, on l’appelle : il accourt !
– Si c’est ton opinion, dit Paindorge, agressif, pourquoi te montres-tu si marri ? Pourquoi t’aboies ainsi ? Donne la patte et fais le beau !
On rit, sauf le Breton. Tristan pensa qu’il avait la rancune tenace. Il revint sur ses pas. Il allait mordre dans sa part de fromage quand la voix d’un héraut retentit dans la cour :
– Messire Tristan de Castelreng.’… Messire de Castelreng !
– Holà ! fît Callœt. Vous êtes demandé, ce lundi ! La première fois, c’était le roi… Maintenant, c’est qui ? Pas notre souveraine : elle est morte… Et pas la pute de Montaigny, au cas où vous craindriez de la voir paraître, puisqu’on vous a dit qu’elle n’est plus.
– Je sais.
– La carogne, messire ! insista lourdement Callœt. Buzet l’a enconnée déterminément 157 quand elle errait demi-nue en forêt.
Le Breton semblait en vouloir à son compère, lequel lui lança un : « Tais-toi » comme il eût jeté une pierre aussi grosse que son poing levé.
– Cesse de cornemuser, Callœt, dit Beltrame, cependant que Morsang, d’un geste tout aussi menaçant que celui du cranequinier, intimait au Breton de tenir sa langue.
Tristan avait compris : Callœt ne se vantait pas sans raison. Les autres avaient « profité » de Mathilde avant l’apparition de Buzet, retardé. Un clin d’œil de Paindorge lui signifia qu’il saurait la vérité, mais il n’en avait cure. Il avait clos le chapitre Mathilde comme il eût clos un tombeau. Il se porta d’un pas vif à la rencontre du héraut.
– Messire Castelreng, veuillez me suivre… Monseigneur le Dauphin… ou le Régent – comme il vous siéra – vous mande auprès de lui.
Tristan posa son pain et son fromage sur la paille :
– Donnez ma pitance aux oiseaux.
Puis, après quelques pas auprès d’un curial 158 à peine plus âgé que lui et tout entier vêtu de la livrée royale :
– Savez-vous pourquoi le prince Charles m’appelle ?
– Tout ce que je sais, c’est que monseigneur m’a dit de me hâter. Je l’ai trouvé soucieux… et nerveux comme rarement…
Tristan prit les augures :
– Est-ce bon ou mauvais signe ?
Sous le bourrelet du mortier, les yeux noirs du messager eurent une brillance fugitive.
– Il a reçu une visite. Une femme… Sûrement une espie 159 , mais conservez cela pour vous. Elle est partie aussi vélocement qu’elle est venue. Monseigneur m’a dit aussitôt : « Va quérir Castelreng. » Ce que je viens de faire.
– Cette femme…
– Il m’a semblé qu’elle était anglaise. Sous son chaperon, ses cheveux ne se voyaient point. Elle était vêtue en homme mais elle avait un cul qui révélait son sexe… si j’ose dire !… Abstenez-vous d’en parler !
– Parole de chevalier, dit Tristan. Le roi m’a fait attendre dix-huit jours une audience. Et voilà que je vais voir le régent !
– Je suis Thomas l’Alemant, son huissier d’armes… Le connaissez-vous ?
– À peine… Je l’ai salué hier sans qu’il daigne répondre à mon salut. À l’inverse de certains, je n’en suis pas tombé
Weitere Kostenlose Bücher