Le poursuivant d'amour
juin…
Il m’a dit qu’il allait bouter les Anglais hors du pays et qu’il me reviendrait dans un mois. En attendant, il me confierait à une dame fort bonne qu’il avait connue en soignant des pestiférés et qu’il avait revue trois ou quatre fois sur le marché de Coutances… Catherine, sœur de maître Pierre Pigache, un clerc, seigneur de Turqueville.
– Vous eussiez pu demeurer auprès de Raymond et Guillemette.
– Certes, mais ils étaient pauvres, moult pauvres… Notre séparation fut pénible à chacun de nous.
– Et vous êtes partie…
– Oui… J’avais le cœur gros.
– Et vous avez vécu à Coutances ?
– J’aurais aimé : la ville était française alors que la plupart des cités à l’entour étaient soit navarraises, soit anglaises (498) .
Luciane reprit son souffle que l’émotion brisait. Elle ajouta d’une voix toute pâle mais où perçait de la rancune, peut-être même de la détestation :
– En fait, Thierry ignorait que dame Catherine, comme son frère, avait moult admiration pour Godefroy d’Harcourt…
–… qui avait choisi l’Angleterre et commis, contre le roi, les Normands et les Français, les actions les plus détestables : trahisons et crimes impardonnables…
– Catherine avait un sauf-conduit de Godefroy le Boiteux. Il nous permit d’aller de Coutances à Saint-Sauveur sans danger. À peine, d’ailleurs, avions-nous quitté la cité que Godefroy, ses hommes, des Anglais et des Bretons en venaient faire le siège… Mais la cité résista 250 . Catherine avait été prévenue… Ce que je peux en dire, c’est qu’elle était fort belle. Elle avait vingt-cinq ans et mon oncle vingt-neuf… Veuf depuis neuf ans, peut-être songeait-il à se remarier, bien qu’il m’eût dit souvent que lorsque je serais adulte, il reviendrait en Pierregord, où il était né.
– Vous êtes demeurée à Saint-Sauveur ?
– Oui… J’ai vécu entre Catherine et maître Pierre Pigache en qui messire Godefroy avait placé sa confiance… Le Boiteux, lui, guerroyait 251 . Et puis, messire Thomas Holland et son épouse sont venus. Ils avaient laissé leurs enfants en Angleterre ; c’est pour cela, sans doute, que Jeanne de Kent se prit pour moi d’une sorte d’affection avant même qu’elle ait appris que j’étais la fille d’Ogier d’Argouges… Cependant, il advenait qu’elle me fit sentir que j’étais sa prisonnière… C’est pourquoi je fus obligée de la suivre quand elle décida, dès la mort de son époux, de revenir sur la Grande Ile (499) . De sorte qu’éloignée de Gratot depuis mon enfance prime, je ne sais si mon père y est revenu et si mon oncle qui, dites-vous, était à Poitiers, a survécu à cette bataille et loge de nouveau dans notre châtelet…
– Il faut y aller, Luciane !… Même s’ils ont été fait prisonniers, des hommes de leur trempe se sont évadés… Il vous faut revenir à Gratot… Ne serait-ce qu’un jour…
« Ne t’engage pas davantage ! » se conseilla Tristan. « Si tu te laissais aller, tu lui proposerais de l’accompagner ! »
Il devait la quitter promptement ; l’oublier… L’oublier ? Elle avait semé en lui une graine semblable à celle qu’Oriabel y avait jeté. Il ne tenait qu’à lui qu’elle fut inféconde. Et puis, Luciane était seule !
– Aidez-moi !
Tristan baissa la tête. Presque rien – une lettre – séparait la supplication de Luciane d’une adjuration qu’il ne voulait pas entendre : aidez-moi, aimez-moi… Pour le moment, un seul souci devait occuper son esprit : son retour à Vincennes.
Il allait devoir fournir au prince Charles maints éclaircissements sur les causes de son échec. Il ferait figure d’incapable. De couard, peut-être, aux yeux d’un couard avéré. Et n’était-il pas pusillanime jusque devant Luciane ? L’aider paraissait simple eu égard à cette aventure qui les avait révélés l’un à l’autre. Il était pour elle un ministre de la Providence.
Il lâcha la main pâle accrochée à la sienne. La terre était toute proche à présent. Il sourdait de ce rivage obscur de la tristesse et de l’ennui. Mais c’était tout de même un fragment de la France.
– Nous arrivons ! cria Calletot.
La Goberde eut comme un sursaut et s’engagea dans un chenal ou un marinier, à l’avant, sonna joyeusement de la trompe.
– Enfin…, murmura Luciane. Êtes-vous heureux ? Moi, j’ai peur.
Plutôt que de
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