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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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« s’était signée, puis elle avait talonné les flancs de Marchegai. Dès lors, elle chevauchait seule.
    – Elle nous a prouvé que ses dires étaient vrais : elle sait manier une lame.
    – Eh oui, Paindorge, acquiesça Tristan. Le sang l’Ogier d’Argouges coule vélocement dans ses veines.
    – Je ne sais pas, dit Thierry, s’il serait fier de la voir ainsi.
    Luciane couvrit deux lieues sans se retourner, sans que la conversation de ses compagnons parût l’intéresser. Ils couchèrent la nuit dans une grange et Tristan entendit la paille, non loin de lui, se froisser sous des mouvements nombreux tandis qu’un souffle, parfois un râle, animait une poitrine oppressée.
    « Qu’est-ce donc qui la tourmente ainsi ? »
    Au matin, la pâleur de Luciane lui prouva qu’elle n ’était point parvenue à trouver le repos. Il lui sourit ; elle lui sourit avec une avarice dont il s’inquiéta :
    « Elle me tient rigueur de ce que j’ai dit ! »
    Il en fut affecté autant que d’une injure. Paindorge s’approcha :
    – Vu l’état de mon épaule et de mon bras, j’avoue que je suis bien aise qu’elle m’ait remplacé : je ne pouvais plus fuir ni gau chir (516) . La peur me touillait l’esprit !… Ne me regardez pas ainsi : la preuse damoiselle s’éloigne et ne peut ouïr mes paroles.
    Paindorge paraissait contrit d’être sincère. Tristan le rassura d’un clin d’œil. Il s’était reproché d’avoir parlé trop durement à la pucelle. Il craignait toujours d’avoir aggravé un désarroi injustifié. Car elle pouvait s’enorgueillir d’avoir bataillé bellement…
    – Si elle a la même ardeur dans un lit…, commença l’écuyer.
    Il craignait une algarade ; Tristan lui tapota l’épaule :
    – Laisse après tout courir ton imagination !
    Paindorge se permit une dernière audace :
    – Et la vôtre, messire ? Ne galope-t-elle pas quand vous la remirez 329  ?
    À la rectitude de l’écuyer, Tristan opposa un silence de plomb. Toutefois il pensait au tréfonds de lui-même :
    « Si, elle galope ! »

 
     
     
     
     
     
 
TROISIÈME PARTIE
     
     
LA PAIX DES CŒURS

I
     
     
     
    –  Est-il à l’abandon ? Il se peut que Raymond et Guillemette soient morts.
    Pour la première fois depuis qu’ils chevauchaient en Cotentin, Luciane révélait à haute voix la crainte qui la tourmentait sitôt qu’elle essayait d’imaginer Gratot.
    – Je ne m’en souviens guère, ajouta-t-elle, morose, la tête basse. J’ai bonne remembrance des douves où se miraient de grands arbres. Tu m’y as emmenée sans plaisir, je crois. Thierry. J’étais jeunette et j’avais cru que nous ne ferions qu’y passer.
    – C’est vrai.
    Tu redoutais d’y entrer mais ta joie fut grande lorsque tu reconnus Raymond puis son épouse. Ils t’ont servi à boire et nous sommes restés quelque temps…
    Thierry poussa Taillefer jusqu’à la hauteur de Marchegai. Bien qu’il éprouvât, sans doute, la même anxiété que sa nièce, il s’employa, malaisément, à la réconforter :
    – Après ta disparition, chaque fois que je suis passé par Gratot – rarement je l’avoue car j’étais malade en songeant à tous ceux que je ne reverrais plus –, j’ai été rassuré… Je repartais de temps en temps à la recherche de ton père et enrageais de ne le point trouver… Toi, je te savais sur la Grande Ile. Je ne pouvais y aller… Je priais pour que tu y sois heureuse. Bref, je me sentais seul, aussi mal en point qu’un oiseau éclamé 330 … Gratot me rassurait et pourtant j’y souffrais de toutes les absences… J’y respirais un air de malemort…
    – Je te comprends, mon tayon 331 .
    Thierry émit une sorte de grognement de rage ou de douleur.
    – La dernière fois que j’y suis venu, c’était voici deux ans. Or, dans ce laps de temps, il peut s’en passer des choses !… Le grand dam, pour moi, c’est que je t’aie perdue et cherchée comme ton père nous a cherchés toi et moi.
    Thierry ne voulait pas trop en dire. De mauvais gré, pourtant, il ajouta :
    – En passant par ici les premiers temps de ton absence, je me disais : «  Ogier est peut-être de retour. Nous partirons tous deux en quête de Luciane. Jusqu’en Angleterre s’il le faut. » Alors des voix mauvaises m’opprimaient : «  Il est mort. Tu ne les reverras plus ! » C’est pourquoi, afin d’éviter des déceptions, j’ai renoncé à faire un détour par Gratot, même

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