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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Ils évitèrent ainsi la présentation de Luciane à Raymond et à son épouse, mais surent qu’elle s’accompagnait de cris et de sanglots qui, dans l’enceinte quasiment close, retentissaient d’une façon affligeante et solennelle que l’Absent eût peut-être désapprouvée. Les derniers flamboiements du soleil lançaient sur les quatre survivants du Gratot de naguère une chape de lumière comme pour les désigner à quelque lointaine et particulière attention.
    – Toutes ces années !… gémissait Guillemette en serrant Luciane contre sa poitrine.
    – Vous avez fort bien fait de la vêtir en homme ! disait Raymond… La menace est partout à l’entour de Gratot.
    Elle lui paraissait tendre, naïve, cette enfant qu’il avait connue toute petite et dont sa femme avait pris grand soin.
    – Rien n’est sûr… La mort est partout. À la fin du printemps, le roi Jean a rappelé à Paris Robert, sire de Fiennes… La Normandie lui devait moult de sa quiétude. Il guerroyait contre les compagnies d’Anglais et de Navarrais souventefois unies. Il a même participé au siège de Cormeilles avec Bertrand Guesclin… Parce qu’il était bon, loyal, félonneux, le roi nous l’a enlevé !
    Guillemette montra le logis seigneurial. Une clarté bougeait derrière la fenêtre.
    – Ne restons pas plantés comme des pieux ! Vous devez avoir faim et soif.
    – Certes ! approuva son mari. Mais avant, j’aimerais que Thierry nous présente à ces hommes. Amis, évidemment… Mais cela me semble insuffisant !
    Tout en ce serviteur satisfaisait Tristan : son visage rude mais ouvert, ses façons nettes, son langage. Il lui avait accordé sa confiance avant même d’avoir mis pied à terre. Luciane, qui restait liée à Guillemette, s’acquitta des présentations assorties d’une promesse d’en dire davantage à table. Paindorge s’inclina, déclara qu’il était content et continua de soulager le sommier de ses fardeaux. Raymond lui vint en aide cependant que Guillemette entraînait Luciane sans cesser de l’abreuver de compliments, jugeant déjà sur son regard et son sourire cette pucelle incroyablement réelle qui, pour elle, ressuscitait d’entre les morts.
    – Il vous faudra me raconter…
    – Oui, Guillemette. Et j’aimerais que vous me disiez tu comme sans doute autrefois.
    – Jamais je n’oserai !… Il me semble revoir votre mère… Hormis vos vêtements, vous lui ressemblez fort !
    Tristan les suivait, entre Thierry et Raymond, mais un peu en retrait par simple convenance. « Il n’est point de hasard », se disait-il. « Je suis à Gratot par une Volonté. » Il percevait dans la vacuité même des lieux, le nombre des bâtiments, le volume des tours et leur élancement vers le ciel les présences de ceux qui les avaient hantés. Aucun flux de plaisir ne soulevait son être, pas même le soulagement d’être rendu et de n’avoir dû verser le sang qu’une fois. Il concevait ici aussi sa solitude et sa disgrâce : il était toujours seul et recevait en ces lieux qu’elle n’avait ni connus ni ne pouvait connaître la confirmation d’une absence. Oriabel encore…
    Il traversa le tinel de Gratot pour s’asseoir en hâte, les reins meurtris, dans une chaire au dossier mutilé sur l’accoudoir de laquelle Luciane s’appuya d’une fesse tandis que Guillemette leur présentait une cuvette pleine d’une eau tiède à point dans laquelle ils mêlèrent leurs mains. Celles-ci se touchèrent encore lorsqu’ils les essuyèrent après une touaille, qui n’était qu’un drap coupé en deux, large et rugueux comme le granit de Gratot. Bientôt, la pucelle à sa dextre, il se délecta l’une menestre 334 de lentilles qui le revigora. Puis le vin les coteaux de Coutances lui apporta du réconfort sinon de la gaieté. Réintégrant enfin son ancienne nature, il observa Luciane avec l’intérêt qu’elle méritait et ce lui fut une volupté médiocre, certes, mais prometteuse que de la savoir accessible, au-delà de l’amour courtois, à des plaisirs moins éthérés. Les tentations éprouvées devant Oriabel rôdaient dans la pénombre, autour d’une table éclairée par quatre chandelles plantées à même leur cire dans des écuelles ébréchées. Mais, la fatigue aidant, que l’absente était loin…
    Il ne provoquerait aucun assaut. Il ne solliciterait aucun abandon. Attendre pouvait être un plaisir. Et puis quoi ? La donzelle avait de la défense. Il n’avait

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