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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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si je chevauchais à trois ou quatre lieues de ce qui, si ton père est mat, est détenu ta chevance 332 .
    Tristan n’osait parler. Serein et distant, il regardait le ciel, les arbres et parfois le dos de la jouvencelle dont le troussequin de selle occultait les rondeurs. Il ne se sentait point enclin à partager les espérances et la perplexité de Luciane et de Thierry, ni à entamer moindre propos avec Paindorge qui, pour n’incommoder personne par un silence dû à la surveillance qu’il exerçait à l’arrière, sifflotait de loin en loin sans plaisir apparent.
    L’oncle et la nièce s’étant tus, Tristan admira tout à la fois la surprenante domination de Thierry sur lui-même et la façon dont il avait subjugué sa nièce et mis un terme à sa mélancolie. Aucune expansion, guère de confidences ; une discrétion complète sur son passé, ses desseins et ses ambitions. Il était en l’occurrence un homme de qualité.
    « Et elle ? »
    Luciane baissait à nouveau la tête. Elle était si parfaitement aux exacts confins de la vigueur et de l’indolence, de la chair et de l’esprit, de la sincérité et de la réserve, de la joie et de la morosité qu’elle semblait avoir obtenu, sans l’avoir souhaitée, la meilleure occasion de se replier en soi-même. Ses façons nettes, si joliment tournées, sa voix pure, ses regards d’une franchise qui parfois affleurait l’audace en faisaient une jouvencelle de belle et bonne compagnie. Il demeurait pourtant sur une impression de sécheresse. L’image qui se dégageait peu à peu de ses examens serrés – pernicieux, peut-être – était celle d’une amie aimable mais impertinente, « adorable » et avenante, et qui se réservait et s’étudiait autant qu’elle l’étudiait, lui. Comme Oriabel, elle détestait les blandices, mais à l’inverse de l’absente, elle trouvait ses exaltations les plus fortes dans les acharnements. À Cobham, elle n’avait pas craint de les aider, Paindorge et lui, au péril de sa vie, et dans la récente escarmouche des Navarrais – s’ils l’étaient –, elle avait éprouvé du contentement à voir et à faire couler le sang. C’était un être à part comme cette fameuse Tancrède dont elle évoquait parfois la figure, bien qu’elle ne la connût que par ce qu’en disait Thierry ; une pucelle dont parfois l’indubitable perfection voilait intentionnellement ou non la ténèbre du caractère. Sans doute, à l’inverse d’Oriabel, cet engouement pour les robustes émois était-il le révulsif d’une sensualité qui ne la souciait guère parce qu’elle en méconnaissait les flux et les reflux. Pour Oriabel dont l’ombre tenace obscurcissait son cœur, l’amour se moquait du péché. Elle régnait encore sur son esprit par le seul souvenir de leurs voluptés attiédies sans que Luciane, évidemment, s’en doutât.
    – Vous ne nous dites rien, Tristan, s’étonna-t-elle.
    – Je n’ai rien à dire sinon que, comme maintenant, il m’advient de songer à ma demeure… ou plutôt à celle de mon père.
    Si Thoumelin de Castelreng mourait, comment l’apprendrait-il ? Ce voyage en Avignon, auprès du roi, lui offrirait sans doute l’occasion d’effectuer, en compagnie de Paindorge, un détour par son pays. Si son père ne vivait plus, il mettrait la demeure rez pied, rez terre : autrement dit, il en prendrait possession et bouterait Aliénor de ces murs dont sa présence l’avait en quelque sorte évincé. Aucun sentiment. Une fois dans la place, il ferait prévenir le roi et le dauphin qu’il vivait désormais chez lui tout en demeurant leur féal.
    Il s’aperçut tout à coup qu’Oriabel ne figurait point dans ses desseins, ni d’ailleurs Luciane. Il en fut presque soulagé.
    – Ma demeure, c’était Gratot, dit Thierry sans intention, sans doute, de complaire à sa nièce. Certes, j’ai vécu avec Aude au manoir de Blainville où elle est ensépulturée, mais nous préférions Gratot.
    Tristan n’osa demander à Champartel s’il allait parfois se recueillir sur les tombes de son épouse et de son fils ; à moins que, pareils à tant d’autres victimes de la peste, ils n’eussent été jetés à la fosse commune. Il frémit tant sa hâte soudaine, inopinée, de revoir Castelreng lui paraissait de mauvais augure.
    Ils atteignirent Gratot le 19 juillet au soir. Comme ils n’avaient cessé de craindre pour leur vie – du moins jusqu’à Coutances –, leur satisfaction d’être

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