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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’elle était à présent.
    Tristan la vit faire face à son père, parler, parler encore en soulignant ses phrases de gestes tantôt brefs, tantôt ondoyants. Quand elle énarra son combat contre le jeune malandrin, un frémissement secoua ses épaules tandis qu’elle puisait dans son éloquence naturelle des accents de plaisir que Thierry réprouva.
    – Bien ! Bien !… Je suis moult heureux, ma fille, que tu sois de l’espèce de ta cousine pour ce qui concerne ta défense…
    Ainsi, il était satisfait de la savoir vive, passionnée, active. Et son beau-frère ne disait plus rien, muselé, eût-on dit, définitivement.
    – L’épée, messire, dit Raymond, ne me paraît pas un affiquet pour les dames.
    – Il a raison, approuva Guillemette.
    Tristan recula dans l’ombre.
    « Pars dès demain ! »
    Il s’étendit bientôt sur son lit d’herbes sèches. Plus vivace encore que l’image de Luciane, une jeune femme envahit son cerveau. Sans autre ornement que sa nudité. Derrière elle, des murs gris ; autour d’elle, une froidure de cachot. Elle n’était point aussi dépourvue de courage.
    Tel un imagier de la peinture, il essaya d’aviver ce portrait par des touches de couleurs douces : le rose divin de la chair et l’azur lumineux du regard. C’était bien l’expression de son visage, la blondeur ardente de sa coiffure. C’étaient bien la minceur liliale de son cou et son noble port de tête. Et pourtant ce n’était qu’un semblant d’elle-même. Quoique proche de la vérité, il le pouvait appréhender et parfaire, ce soir, les traits délicieux du visage évoqué. Luciane brouillait tout. Il ne retrouvait plus le bleu dense des prunelles, leur flamme dans l’angoisse ou la félicité. La vérité que lui offrait cette physionomie lui échappait. Devenait mystère. Il avait beau s’y reprendre et s’y reprendre encore tel un peintre devant le reflet de son modèle, les courbes se juxtaposaient à d’autres courbes, le visage à un autre visage. Si la ressemblance physique existait, quoique floue et impondérable malgré l’occultation d’une autre, l’être secret qu’il avait si bien connu, si bien sondé, ne se révélait plus : Oriabel semblait se retirer dans l’ombre et s’extraire de lui pour n’y plus revenir.
    Il se réveilla en sursaut. Paindorge, appuyé d’un coude sur le pourpoint qui lui servait d’oreiller, l’observait en souriant.
    – J’ai crié ?
    – Vous avez dit Non…
    –  Que ça ?
    – Que ça.
    Les reins endoloris, la bouche amère et l’œil gonflé, Tristan courut puiser de l’eau. Quand il se fut lavé, l’écuyer le rasa. Ensuite, vêtu aussi proprement que possible, il gagna le pont-levis baissé puis, de là, l’extrémité de la jetée d’où il put contempler Gratot tout à loisir.
    Avait-il accompli, en y arrivant, l’effort nécessaire pour le bien voir, partant pour le bien comprendre – autant qu’on pût comprendre les êtres d’une demeure d’aussi grande taille en l’embrassant d’un seul regard ? Non. La hâte d’y pénétrer, le désir de mettre pied à terre, la fatigue qui le courbait sur sa selle avaient réduit, amoindri sa vision. Il était anxieux sans raison apparente. Et maintenant ?
    Il vit paraître Ogier d’Argouges. De la main, ils se saluèrent et le chevalier s’engagea entre les parapets.
    « Dommage… J’aurais aimé être seul. »
    Pourtant, s’il existait un homme capable de lui révéler l’âme de son pays dans ce qu’elle avait de plus profond, de plus sincère, c’était assurément celui qui lentement marchait à sa rencontre. S’il y avait un château qui, par ses détails et son entièreté, pouvait exalter la chevalerie de Normandie dans son double aspect pieux et robuste, c’était bien ce Gratot qui l’avait accueilli.
    – Comment va, Tristan ?
    – Fort bien… Et, vous ?
    – Bah !… Je dors peu et cette nuit j’avais tant de choses et de gens à comment dire ?… à ressusciter que je n’ai guère fermé l’œil !… Gratot vous convient-il : Aimeriez-vous y vivre ?
    Ensemble, ils regardèrent droit devant eux.
    Si la douve où se reflétait une enceinte rébarbative donnait au châtelet un air de prison, les ouvrages qui, au-delà de cette muraille, se hissaient vers le ciel démentaient cette impression fâcheuse. Leur blancheur envolée exprimait les sentiments les plus simples et les plus nobles. Même blessé à l’intérieur par

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