Le poursuivant d'amour
venaient de s’en aller :
– Ce Castelreng, ma fille, en es-tu amourée ?
La réponse vint sans attendre, aussi hardie que définitive :
– Oui, père.
Tristan pressa le pas pour rejoindre Paindorge.
*
La lune ronde et pâle versait sur le seuil de l’écurie une clarté suffisamment vive pour qu’elle se répandît à l’intérieur. Paindorge se hâta vers son nid de fourrage, s’y jeta et se mit incontinent à ronfler. Tristan visita les chevaux. Dans la chaude pénombre où bruissait, parfois, la paille de leur litière, tous étaient paisibles sauf celui de Raymond, un roncin pommelé inaccoutumé au partage de son domaine. Il rongeait sa mangeoire et fouettait de la queue.
Lentement, pesamment, Tristan revint sur ses pas. Une épaule touchant le chambranle de pierre, il observa les ombres qui se mouvaient derrière la fenêtre de la grand-salle. Raymond, assez rare ; Guillemette toujours vive, et Luciane qui, parfois, collait son front à la vitre et disparaissait pour rejoindre son père toujours assis, sans doute, dans son grand siège.
« Et Thierry ?… Que fait-il ?… Ah ! Le voilà… Il lève les bras et simule des coups de taille. De quelle bataille entretient-il son parent ? »
Tristan s’avança sans précaution particulière jusqu’à ce que sa curiosité lui parût condamnable. Il s’immobilisa et observa, sur le fond clair de la fenêtre, le passage de ces ombres qui par fois se confondaient en une seule. Après l’extrême tension de ses nerfs, à Hambye, il ne savait ce dont il avait besoin. Solitude ? Sommeil ? Devait-il peupler son esprit de la seule Oriabel pour se recueillir en elle ? Non. La vieille alchimie ne comblait plus ses espérances. Les athanors de l’esprit et du cœur ne transmutaient plus rien. Tout restait cendre et suie où qu’il cherchât refuge. Naguère remèdes à sa mélancolie, ces recours au passé compo saient son tourment. Il souffrait moins de l’absence d’Oriabel que de l’ignorance de ses actes et de ses pensées. Un mois d’existence commune dans les murs répugnants du château de Brignais. Un mois de passion semée d’effrois sans nombre. Serait-ce tout ? Son amour – peut-être maintenant son affection – s’accommodait mal de ce silence et de cet éloignement. Il ne les avait point souhaités comme épreuve de vérité. Il continuait de croire à la reviviscence de leurs fêtes nuptiales même si le désir le titillait parfois de s’engager dans une autre voie si par male chance, passant par Castelreng, il n’y retrouvait ni Oriabel ni Tiercelet. Il laissait volontiers galoper sa raison ; il en maîtrisait les larmes et en guérissait les fièvres plus promptement ; plus aisément qu’il ne l’avait cru lorsqu’il avait découvert Luciane chez Cobham ; lorsqu’il l’avait vue manier farouchement l’épée ; lorsqu’il avait entraperçu sa nudité en deçà d’une robe seyante. Ingénument ou non, elle savait l’envelopper d’un regard où l’ardeur le disputait à la tendresse. Quoi qu’elle fît pour le décider moins à l’amour qu’au mariage, il se sentait toujours le féal de l’Absente, le loyal dépositaire de sa confiance et de ses ferveurs. Et de méditer, pourtant, sur ce thème : « Ogier ne la lâchera point aisément ! » Cela lui laissait du champ. Rien n’était commencé entre Luciane et lui. Son intuition, pourtant fort aiguisée d’ordinaire, semblait s’être émoussée. Il était incapable d’imaginer la façon dont il prendrait congé des gens de Gratot et ce que serait leur attitude.
« Après tout que t’importe !… Si tu le veux vraiment, tu les oublieras. »
Il s’approcha de la fenêtre et entendit Thierry s’exclamer :
– Mais si !… Et ce n’était pas un petit estour 351 , tu peux me croire. Elle sait tenir une épée.
En voulant rassurer Ogier sur les qualités de sa fille. Thierry allait peut-être inquiéter. Qu’elle fut merveilleusement affranchie de beaucoup de faiblesses inhérentes à son sexe, soit. Fille de preux, fière de l’être, se croyait-elle à l’abri des angoisses de celles qui croyaient n’être que les filles dociles du Créateur ? Il réprouvait, lui, Castelreng, cette sûreté de soi. Peut-être Ogier se demandait-il maintenant si les Anglais n’avaient pas eu, sur le caractère de Luciane, une influence néfaste et si, vivant sa jeunesse prime et son adolescence à Gratot, elle n’eût pas différé de ce
Weitere Kostenlose Bücher