Le poursuivant d'amour
notre victoire fut loin d’être cette appertise dont on se loue gros sement en Bretagne. Pour moi vers la fin du combat, Guillaume de Montauban a desrieulé 350 en se retirant du combat pour aller sauter sur son cheval, feindre de fuir, et revenir vers les Goddons pour en renverser deux d’un galop lors duquel son coursier mourut.
– Et aucun Goddon, sans doute, dit Raymond, acerbe.
– Ce sont là, dit Thierry, des procédés dignes de Guesclin !
– Il n’y était point.
– Je n’en suis nullement ébahi. On commence à chanter un peu trop ses mérites.
– Qu’advint-il de Calveley ? demanda Luciane.
– Il fut conduit à Josselin et rançonné. Libre, il fut re pris à Montmuran trois ans plus tard…
–… par Enguerrand de Hesdin, continua Tristan. Ce fut lui, Calveley, qui fit prisonnier Bertrand Guesclin à Juigné et le rançonna pour trente mille écus versés par la Couronne. Mais continuez, messire ! Vous reveniez, disiez-vous…
– Je revins à Gratot et passai quelques jours avec mes bons amis, Raymond et Guillemette. C’est là qu’un bénédictin de Hambye vint me chercher. Frère Peynel, le sempecte de l’abbaye, allait mourir. Il me voulait voir. Je l’avais quelque peu titillé au temps de la mort noire. Je doutais de la mansuétude divine et il n’était advenu de vitupérer Dieu… Mon malheur m’aveuglait et me tournait les sangs. Frère Peynel me demanda où j’en étais de mes recherches. Je lui dis mon désespoir. Vivre à Gratot m’était souffrance. « Sans te vêtir de bure », me dit-il, « retire-toi de cette existence stérile. Reviens demain en armure et l’épée tu côté. Franchis notre seuil et dévêts-toi… J’ai parlé à mes frères et à notre prieur. Il nous faut un jardinier, un pitancier… Tu peux amener ton cheval et ton chien. » Et je lui répondis qu’ils étaient morts tous deux.
– Tu n’as rien su du monde à l’entour de Hambye ?
Thierry souriait avec bienveillance. Pour lui, dit-il, c’était tant mieux si son beau-frère avait ignoré ce qui se passait hors des murs de l’abbaye. Ogier le détrompa.
– Nous savions tout, contrairement à ce que tu crois… J’ai appris l’avènement d’Innocent VI après la mort de Clément VI la mésentente de Charles de Navarre et du roi, la félonie d’Etienne Marcel, le meurtre de Charles d’Espagne – qui m’a tiré un soupir d’aise ; la reprise de la guerre en Bretagne après la défaite des nôtres à Poitiers, la paix de Brétigny qui nous prive de tout. Rien n’est plus poreux et friable que les murs d’une abbaye…
– Vous n’avez jamais eu regret d’avoir abandonné Gratot ?
Luciane souriait à peine. Toute la violence de ses nerfs, elle la dédiait à ces événements qui avaient fait de son père un reclus. Son instinct la liait à ces pierres, à ces arbres ceints d’une douve large dont l’odeur, par la porte mi-close, la pénétrait. Elle s’incorporait à Gratot. Tous les feuillages sous le vent frémissaient avec son sang. Peut-être songeait-elle qu’elle ne quitterait jamais plus ces lieux, ce ciel de Normandie – si pareil, songea Tristan, à celui de l’Angleterre. Elle avait beau ciller des paupières, elle voyait son père différemment qu’au début de leur rencontre. Un homme qui avait renoncé à combattre. Un reclus sans autre passion que celle, ordinaire, de prier plus souvent que d’autres gens, même pieux. Elle se faisait serment de ranimer ce léthargique. Pour qu’elle en devînt plus fière encore qu’elle ne l’était maintenant.
– Si, j’ai eu moult regret d’abandonner Gratot… Si tu touches un jour le fond du désespoir, mon enfant, tu comprendras ma conduite.
– Eh bien, mangeons, maintenant, dit Guillemette. Je sais que vous avez moult choses à vous dire, mais le temps ne vous est plus compté.
– En vérité, dit Raymond, étrangement silencieux.
– C’est bon, dit Paindorge.
Était-ce le mot de la fin ou une appréciation sur la cuisine de Guillemette ? Nul ne s’en soucia. L’on mangea.
Lorsqu’il eut pris congé avec son écuyer pour retrouver son lit rustique, Tristan s’arrêta sur le perron du logis seigneurial. Il respira amplement afin d’emplir ses poumons d’air frais et d’échapper à l’enivrement d ’un bon vin dont Raymond, échanson et écuyer tranchant, avait été prodigue. Il entendit alors, en provenance de la grand-salle d’où Raymond et son épouse
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