Le poursuivant d'amour
demain ?
– À la guerre, compère… comme la fait Guesclin.
– Ah ! Bon…
Après avoir dégluti, Paindorge ajouta :
– Pour ce qui est du bon, cela m’a échappé !
Il entrait autant de résignation que d’indifférence dans cette remarque. Tristan eut un sourire :
– Le bon t’a échappé. Il échappe à Guesclin… Je maudis ce chevaucheur qui nous a envoyés devant cet homme-là… On en parle à la Cour en des termes choisis… Ses laudateurs ne l’ont jamais vu à l’œuvre ou alors ils avaient de la merde dans les yeux… Nous devons accepter de nous battre avec lui.
– Pourquoi ? Nous n’avons rien à voir avec ce malandrin.
Tristan sourit encore, cette fois méchamment :
– Pourquoi ? Pour lui montrer que nous sommes des hommes !
*
Le Breton allait et venait sous un chêne. Une lourde épée le ceignait. Son armure était aussi sale et amatie que la veille et son visage rond, aux traits tirés, n’exprimait rien. De prime abord, son regard semblait fuyant ; il savait le planter çà et là sur un cheval ou un compère et juger de son état.
– Te voilà, Castelreng… Tu chevaucheras près de mes hommes liges avec ton écuyer… J’accepte aussi la compagnie de votre sommier. Il mérite mieux que de porter vos affiquets… Tous mes parents m’attendent… Es-tu prêt ?
Tristan acquiesça sans mot dire. « Ses parents ! Ses parents ! Si c’est le cas… Es nascu âou bourdël : tout lou moundë soun sou parëns 372 . » Mais ne disait-on pas : parents à la façon de Bretagne ?
Ils quittèrent Tortisambert au pas. Le soleil tout juste tiré de l’horizon, égratigné par les ramures, donnait une ombre rouge à tout ce qui bougeait. Le chemin conservait çà et là les flaques d’une pluie nocturne et l’eau stagnante s’y faisait sang.
– Ton armure est belle, Castelreng, dit tout à coup Guesclin. Est-ce une acquisition ? Une prise de guerre ?
– Présent du roi et de son fils Charles lors de mon passage à Vincennes.
– Puisque tu le dis, c’est sûrement vrai. Il me semble la reconnaître… Le roi et le dauphin m’ont aussi en grosse amitié.
– Puisque tu le dis, c’est sûrement vrai.
– Ton écuyer me paraît bien loti.
– Armerie de Vincennes également. Il est navré au poignet.
– Navré ou pas, faudra qu’il tienne son épée. Quant aux armures, vous le savez tout comme moi : elles ne font ni les chevaliers ni les écuyers. L’important c’est la vaillance et les vertus de ceux qui les endossent.
Cette malice intentionnelle fut sans effet sur Tristan. Le contenu, d’ailleurs, en était fondé. Occupé à surveiller le sommier qui suivait Tachebrun d’un pas leste – son bât ne pesait plus guère –, Paindorge s’exclama :
– Un halbran !
Ils contournaient un étang. Effrayé par le bruit, le canard s’envola au ras d’une cohorte d’aulnes, rasa l’eau de ses palmes en la touchotant du bout des ailes et s’éleva, le cou tendu.
– Ils sont plus gros en Bretagne.
Rien pour Guesclin ne pouvait égaler son pays et ce qu’on y pouvait trouver. Mieux valait se gausser secrètement de sa présomption. Paindorge feignit de souscrire à cette affirmation – sans partage, mais le plaisir aux lèvres :
– On m’a dit que la Bretagne, c’est le paradis. Les volailles, les vaches, les truies et même les dames y sont plus ardentes qu’ailleurs… et les porcs n’ont pas leurs pareils !
Il savait, lui aussi, que le rioteux 373 le méprisait. C’était une des données de l’expérience de guerre à laquelle ils allaient se livrer en présence de ce rustaud qui jugeait tout de son haut, définitivement, et dont le roi lui-même et son fils ne pouvaient amoindrir l’impertinence. Certains de ses guerriers l’adulaient ; d’autres devaient le détester comme une sorte d’ennemi, de maître dont ils ne pouvaient pourtant se passer. Allaient-ils ce jour d’hui rencontrer Jean Jouel ? Ils le vaincraient. Guesclin ne concevait pas que cette victoire pût être difficile puisqu’il la croyait déjà certaine, mais comme tous, il ignorait où, quand et comment il atteindrait les Anglais auxquels sa façon de concevoir la guerre avait donné des idées d’embûches et de tueries supplémentaires. Naguère on respectait les navrés ; maintenant, sous l’incitation de Guesclin, on les occisait avec délices. C’était du moins ce qu’on se disait à Vincennes. Tous les commencements
Weitere Kostenlose Bücher