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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cette pensée secrète. Tu n’auras pas à succomber à des tentations dont je me serais courroucée.
    Il se détourna, se sentant observé, et découvrit les visages des soudoyers l’animadversion à laquelle il s’attendait. Ces larrons vénéraient leur dame. Pourquoi, se demandaient-ils, ramenait-elle de Lyon ce damoiseau morne et distant qu’elle aurait pu enfanter ?
    – Parmi les gros que tu vois là, les deux premiers, c’est Roussel et Lafourcade. Ces trois tors 45 , tout proches, c’est Lalou, Bouteville et Marcigny. Les deux barbus ? Gaudin et Plumet. Les trois maigres ? Fouchard, Haudecœur et Jalloux… qui ne l’est point. Tu finiras par te faire à eux comme ils se feront à toi.
    « Voire ! Ils vont m’épier sans trêve, sans se priver de me montrer qu’ils me maudissent… Ce sont des geôliers, rien d’autre. »
    Bien qu’il eût méjugé quelques aspects de la vie de Cour, Tristan se surprit à regretter le spectacle d’une animation qui, tout impure qu’elle lui eût paru en certaines occasions, détenait au moins deux mérites : l’espace et la liberté. On ne cessait de côtoyer des hommes et des femmes courtois, des jouvenceaux et jouvencelles qui, dès leur apparition, trouvaient l’exacte nuance du sourire convenant au roi, à ses fils et à leurs proches. Ils se savaient les bienvenus. Dans les vestibules et les corridors, dans les allées des jardins et lors des préparatifs de la chasse, la rumeur des salutations, des compliments et embrassades et les exclamations dues à des retrouvailles mêlées aux froussements des robes et aux tintements des armes, ne s’apaisaient que tard dans la nuit. Si les entrées de Vincennes et du palais royal étaient peuplées d’archers et de picquenaires silencieux, d’autres chantaient dans les logis que le régent leur avait impartis lors de l’absence de son père. On n’osait dire la captivoison (416) . Le roi Jean, à son retour d’Angleterre – un retour provisoire s’il ne pouvait acquitter sa rançon –, ne s’était pas senti enclin à réprouver quelques aménagements sans autre motif que de mieux filtrer les visiteurs et congédier certains intrus.
    C’était tout de même une singularité qu’il trouvât tout à coup des avantages à une existence qu’il avait déprisée quand il ne l’avait honnie. Les us et coutumes auxquels il se référait, voire ceux qu’une bienséance élémentaire impliquait, n’existaient pas à Montaigny, sans quoi Mathilde l’eût présenté à ses fidèles. Il n’en ferait grief à son épouse. D’ailleurs, qu’il fût abominé par toute la mesnie 46 ne le consternait point – au contraire : il s’efforcerait à l’indifférence quand ce ne serait à la hautaineté. Cette résolution à la fois maussade et confortante lui arracha un soupir.
    – Holà ! Que te prend-il ? dit Mathilde, sévère.
    – Mon épaule me cuit… Je sens aussi que devant ce Panazol et sa meute, je ferai figure de chien de maison.
    – Tu me lécheras… la main et tu leur montreras les crocs.
    Il pénétra dans le donjon après avoir senti contre sa joue le souffle bruyant et précipité d’Ydoine qui, sans renoncer à son mépris, eût cru déchoir en lui cédant le passage. Il ne vit rien d’abord autour de lui tant la lumière était rare. Quatre maigres fenêtres, presque des archères, diffusaient les lueurs rouges du crépuscule. Une torche brûlait parcimonieusement.
    « Une prison », se dit-il tandis que sur les lèvres de la propriétaire des mots, des verbes et des rires formaient une litanie acerbe où son prénom, Tristan , qui parfois jaillissait d’une phrase, lui paraissait presque inconnu tellement elle appuyait sur la seconde syllabe. « Elle ne le prononce pas : elle le cloue ! » Il n’avait jamais envisagé une arrivée joyeuse à Montaigny ; il trouvait cependant à ces commençailles de vie conjugale quelque chose de glauque, de redoutable, que Mathilde avait perçu avant lui, d’où cette prolixité à laquelle Ydoine sut mettre un frein :
    – Mangerons-nous ensemble ou faut-il vous apporter quelques écuellées dans votre chambre ainsi que votre vin préféré ?
    Le regard de la servante étincelait de tant d’outrecuidance et de complicité qu’il en devenait insoutenable, même pour Mathilde. Tristan, qui en fut soudainement atteint, subit d’une façon fugitive, mais corrosive, l’influence d’une aversion sans mesure. Oriabel avait

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