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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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certainement souffert des malveillances de cette gaupe. Sa beauté, en affirmant la laideur et l’âge de la commère, avait dû maintenir celle-ci dans un continuel courroux. Elle s’était toujours abstenue de confier ses peines afin de ne point les revivre, mais il concevait mieux, désormais, pourquoi ses accès de gaieté, d’ailleurs rares, s’imprégnaient de tant de tristesse ou de mélancolie.
    – Nous souperons dans ma chambre. Nous as-tu préparé un bon lit ?
    – Une couche de mariés, dame, sitôt que Jabeuf nous porta la nouvelle.
    Elles s’ébaudirent avec un air de connivence d’une telle impudicité que Tristan, qui s’était éloigné, s’estima informé sur la sujétion d’Ydoine : cette grosse jument de monte n’avait jamais subi le mors et l’éperon. Sa maîtresse n’exerçait son autorité que sur la gent masculine.
    – Tu ne souffles mot, Tristan… Que dis-tu de ces lieux ? Crois-tu que tu t’y plairas ?
    Il s’abstint de répondre afin de ne point désobliger cette goton toujours encline à escarmoucher afin d’affirmer sa puissance. Quelque soin qu’il prît à les fourbir, les armes qu’elle le contraindrait parfois à manier paraîtraient émoussées à l’un et à l’autre contre celles qu’elle aiguiserait au plus secret de ses méditations. Déjà, quoique à l’abri d’une nonchalance affectée, il sentait des poignards dardés sur sa personne.
    – Eh bien, réponds !… Ydoine aussi voudrait savoir ce que tu penses.
    Tout en s’évertuant à feindre une sérénité dans laquelle, se méprenant, Mathilde puisait peut-être d’excellents présages, il s’adressa particulièrement à la meschine :
    – Me plaire ?… J’arrive et ne saurais m’exprimer franchement… Me sentir condamné à la sécurité ?… Oui.
    Il maniait la sincérité comme un orfèvre une pièce fragile. Et pour que son épouse ne surprît pas, sur son visage, la petite pâleur d’angoisse qu’il sentait s’y répandre, il foula d’un pas volon tairement lent le pavement de granit gris jonché de paille fraîche.
    Ici, un dressoir pareil à celui de la chambre de Lyon, mais dont les cuivres et les étains ternes, poudreux, attestaient du peu d’empressement d’Ydoine à l’entretien des objets ; là, une fontaine de porcelaine et son évier ; la touaille accrochée tout près, dans une encoignure ombreuse, paraissait, de ce fait, immaculée. Il y avait, de part et d’autre de la cheminée au linteau de pierre aussi charbonné que le cul d’un chaudron, deux hauberts soutenus par de hautes croix de fer à quatre pieds. Les mailles treslies, brunies par les fumées de l’âtre et la rouille, montraient çà et là de brèves déchirures. Au-dessus, accrochées au mur, deux targes 47 offraient aux regards des armoiries illisibles : une suie épaisse et luisante leur tenait lieu de vernis. Tristan s’en éloigna.
    – Ils étaient à mon père, dit Mathilde en le prenant par la taille.
    Croyait-elle qu’il allait s’enquérir de son nom et de ses prouesses ? Le silence auquel, sans doute, elle s’attendait, l’incita évidemment à poursuivre.
    – Il commandait deux lances à Courtrai.
    Courtrai ! Juillet 1302. Il y avait donc soixante ans.
    Cent grands prud’hommes et plus de mille chevaliers, mille écuyers et des milliers de piétons avaient été occis par des drapiers, des bouchers, des bourgeois et des vilains commandés par une poignée de seigneurs fidèles au comte de Flandre. Une bataille aussi sanglante que celle, toute proche, de Brignais, et perdue par les Lis de France pour les mêmes causes : la jactance et l’impéritie des marmousets de Philippe le Bel.
    – Ce fut, Mathilde, une bataille terrifiante comme celle que je viens de vivre… Deux lances (417) , cela fait des guerriers !
    – Cinquante, dit-elle en lâchant sa proie au vu du sourire compassé d’Ydoine.
    Son père était-il chevalier ? Les lances n’étaient point obligatoirement conduites par un chevalier, mais par un fieffé, baron ou autre, qui menait lui-même les hommes. Il advenait qu’on prit aussi des écuyers, – toutefois d’assez haute naissance.
    Tristan s’approcha d’une tapisserie toute verdie des suppurations d’une muraille tellement humide qu’un filet d’argent brillait sur le dallage.
    – Elle vient de Tournai… Sais-tu ce qu’elle représente ?
    La scène étant aussi indéchiffrable que les targes du vaincu de Courtrai, Mathilde se

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