Le poursuivant d'amour
Les meilleurs. Les lices qui les ont mis bas avaient été couvertes sous les signes des Gémeaux et du Verseau, car tu le sais sans doute : ceux qui sont engendrés ainsi ne sont jamais sujets à la rage et il en vient plus de mâles que de femelles.
Elle désigna les pigeons et les moineaux sur les toits.
– Les coulons roucoulent et les passereaux chantent. Que te faut-il de plus ? Des trouvères, bateleurs, jungleresses ? S’il en vient à passer, je t’accorderai cette faveur…, qu’il te faudra me rembourser par une autre.
Tristan pensait aux chiens. C’étaient des bêtes avides de sang, dressées pour courre les cerfs, bêtes noires et, à l’occasion, les hommes. Il ne put s’empêcher de s’imaginer poursuivi par ces molosses dans une forêt nocturne, tandis que retentiraient les cris des veneurs : « Tran ! Tran ! Tran ! » Et celui du brenier (415) : « Trouvez-le ! Trouvez-le !… Il nous le faut vivant ! » Une question le tira de ce rêve éveillé aucune femme ne s’était encore montrée. Oriabel, avait servi Mathilde, n’avait-elle pas été remplacé Allons, il devait bien y avoir quelques jupons à l’entour. Certains soudoyers, s’ils n’étaient mariés, devaient avoir une concubine.
– On dirait que tu crains quelque chose, dit Mathilde avec un étonnement feint.
Il n’allait pas passer sous des fourches caudines mais justement, il lui semblait que quelque chose l’en tourait, le happait, l’enfermait. La froide étreinte des pierres avant celle, fiévreuse, de son épouse.
– Que faisons-nous ? demanda-t-il alors qu’ils revenaient vers » les meschins 41 immobiles et silencieux.
Il s’était efforcé de sourire et de s’exprimer sur un ton dégagé qu’il devinait, en réalité, faux et pointu.
– Mais… nous n’allons pas rester dans cette cour… Tu vas pénétrer, t’introduire…
Elle le heurtait délibérément, avec un plaisir à chaque fois plus intense, provoquant en lui une espèce d’ardeur contenue qui n’était certes pas celle qu’elle croyait y susciter. Ils passèrent lentement parmi les hommes, et seul Panazol s’inclina. Tristan comprit que ce faux respect lui était destiné. Il s’en fût contrarié naguère. Désormais, et pour abuser tout son monde, mieux valait qu’il fût considéré comme un niais plutôt que comme un prud’homme.
Une porte béa sur le seuil du donjon. Une grosse femme vêtue de noir apparut. Ses cheveux blanchoyants rassemblés en deux tresses lui arrivaient aux hanches et, pour ne pas en être incommodée, elle les avait serrés dans sa ceinture. Visage de lune, mais les yeux jaunes, étirés vers les tempes, semblaient ceux d’une chatte, voire d’une tigresse. Elle se courba dans une révérence si profonde qu’elle puait l’hypocrisie tout autant sinon plus que celle du soi-disant sénéchal.
– C’est Ydoine 42 , ma nourrice.
– Est-ce la seule femme à vivre au châtelet ?
Cette question sans malice fit grimacer Mathilde.
« Que veut-elle de moi ? » se demanda Tristan. « Qu’en dehors du lit je la révère comme une sainte ? Que je n’aie aucun regard, aucune pensée envers quelque autre, créature ? » Ils se dévisageaient en silence, sans aucune hostilité, platement ; mais ce n’était qu’une commune fallace destinée aux témoins de leur apparition dans les murs. Leurs yeux, une fois séparés, montèrent en même temps vers Ydoine.
– Elle est ma seule et unique servante. Bien si j’avais aussi ton idiote… Je me refuse à t’en parler ce n’est pour te dire que j’aurais dû la livrer à mes hommes…
– Je vous sais bon gré de ne pas l’avoir fait. Ces hommes…
Il allait ajouter : « combien sont-ils ? » Mathilde se méprit sans qu’il en fut surpris.
– Eh bien, quoi ? Ces hommes ? Ydoine accueille encore les plus vieux dans son lit. Les autres vont à Lyon où les bordeaux sont nombreux. Quand reviennent, ils rapportent ce dont ils avaient besoin : armes 43 , vêtements, pâtisseries, et même des remembrances 44 de leur quête… ou quiquette.
– Et quoi donc ?
– Des chaudes-pisses.
Tristan ne sut comment interrompre un dialogue qui assurément, n’eût pas rebuté d’autres hommes. Si peu qu’Oriabel l’eût informé sur Montaigny, elle a mentionné l’existence d’une cousine de la châtelaine. Elle avait nom Marie. Qu’était-elle devenue ?
– Seule ! insista Mathilde comme pour extirper
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