Le poursuivant d'amour
plein de l’âcre fumée des mèches, il heurta du genou une chaise. Un petit rire éclaboussa l’obscurité.
– Dans quelques jours, tu me rejoindras les yeux clos.
Quelques jours, puis quelques semaines qui prolongeraient la distance entre Oriabel et lui.
– Tu te demandes comment je suis, sans doute… Nue et les bras repliés sous ma tête… Es-tu nu toi aussi ?
– Si l’on veut… avec tous ces linges qui m’entourteillent…
Elle remua ; elle avait dû se relever un peu. Il imagina ses seins hors du drap et de la couverture. Tirant une des courtines, il s’assit au bord du lit, frottant doucement son épaule abîmée qu’une haleine rafraîchissait.
– As-tu mal ?
Mathilde tâta le bras qu’il lui abandonnait, monta lentement jusqu’à l’aisselle, n’osant serrer la chair blessée qui s’attiédissait sous ses doigts.
– Je te fais mal ?… Tu sais que je ne te veux que du bien… Viens… Entre et tire la courtine…
Deux pointes de clarté brillaient dans l’obscurité imprégné des moiteurs et des impatiences de la dame. Ses yeux. Une luisance apparut au-dessous. Sa bouche. Elle souriait d’une victoire simplette et sans combat. Elle remua. « Je te fais de la place. » En fait, elle s’approchait plus encore, prête à le submerger de toute sa chair palpitante. Le lit craqua. Le bruit parut se prolonger jusqu’à l’une des colonnes comme une plainte sèche, et la petite barge aux voiles de velours fut emplie des souffles et de la tiédeur de Mathilde. Tristan sentit une joue se coller sur son épaule intacte, une main glisser sur sa poitrine et le ceindre.
– Tu vois, ce ne sont pas des gestes de ribaude… Nous sommes enveloppés d’une muraille impénétrable… Seuls au monde… Adam et Ève… Touche cette pomme-là…
Elle frottait un sein contre lui. Pourquoi ne savait-elle pas se taire ? Elle l’attirait doucement vers elle, sur le drap froissé, tandis que de ses pieds elle refoulait courtepointe et couverture.
– Tu vois, susurra-t-elle, je nous prépare un bon champ clos !
C’eût été à lui d’agir, ne fût-ce que pour accomplir des gestes susceptibles de préserver son épaule, mais elle l’emprisonnait maintenant dans des bras qu’il n’avait pas crus si robustes.
– Je te déciderai à m’aimer comme un fou.
– Je pensais vous servir en qualité d’esclave.
Elle rit. Il fit de même. Comment n’eût-il pas été atteint par cette contagion de l’amour qui rendait Mathilde aussi frémissante et fiévreuse qu’une malade livrée aux affres d’une affection dont la malignité eût confondu tous les mires, à commencer par l’austère Guy de Chauliac ?
Cette agitation, d’ailleurs, s’enrichissait d’une hésitation dans les mouvements, d’une ferveur dans les baisers, qui ne procédaient point des ribauderies auxquelles il s’était attendu. Mathilde prenait son temps ; elle s’appliquait à développer sa confiance. Elle ne s’avilissait plus dans des mots, des gestes crus. À défaut de l’aimer, il éprouvait pour elle, à présent, une mansuétude qui le disposait à oublier tout ce qui, ce soir, avait composé leur univers, afin que leur union fût au moins quelque chose de convenable dans l’immensité des faits beaux ou sordides dont ils portaient, en leur âme et leur chair, les nombreuses cicatrices. Le lit tiédissait ; une bouche sans cesse plus avide cherchait et trouvait une bouche d’homme qui ne se pouvait refuser. Une jambe remuait, s’effaçait. Une toison chatouillait une cuisse affermie par les marches, les chevauchées et qui, contrairement à tant d’autres, ne s’était pas arquée sur les quartiers d’une selle.
Mathilde, à présent, semblait manquer d’audace. Il importait qu’il maintînt l’harmonie qui s’était installée entre eux sans qu’il eût rien fait pour la créer. Quand des chiens aboyèrent, il sentit, contre ses lèvres décloses, remuer une bouche tendre :
– Chaque soir, Panazol fait le tour des murailles avant d’y placer deux vegilles (421) , lesquels conservent les chiens avec eux. Ils sont aussi vigilants que les oies de Rome… Holà, messire, vous êtes dur !
La main vola comme un oiseau quittant son aire.
– Soyez sûre que je serai dur avec vous.
– Cette décision me rassure !
Tristan rit, ne sachant qui prendre en dérision, d’elle ou de lui. « Moi, sûrement, l’ancien novice de Fontevrault ! » Après s’être nourri
Weitere Kostenlose Bücher