Le poursuivant d'amour
durable.
– Héliot avait pris soin de me mettre à l’écart… Me diras-tu ce qu’ils faisaient à ces prisonnières ?
Une fièvre maligne devait l’empoigner, la pétrir aux entrailles. Il avait suffi de quelques mots pour que le poison du délire charnel circulât dans ses veines. Comme il était heureux que, ce soir, la nature eût fait en sorte de les déparier !
– Je ne dirai rien. C’étaient des châtiments d’une laideur suprême. L’enfer, la bestialité… Satan, Belzébuth, Astarot, Bélial et tous les autres, dans la peau d’hommes de notre temps… D’hommes tels que ceux qui sont autour de nous !
– Tu me parais méchant envers eux.
– Qui sait, si j’avais essayé de te… quitter, qu’ils m’aient rattrapé ce midi et que tu m’aies abandonné entre leurs mains… ce qui m’eût changé des tiennes… Oui, qui sait ce qu’ils m’auraient fait !
– Tu es méchant, te dis-je, mais cela me plaît !
Bien que ce repas fût difficilement supportable, il y resterait ; il en partirait le dernier : s’il était revenu maintenant dans leur chambre, Mathilde l’y eût rejoint. Jamais elle ne serait sevrée parce que jamais elle n’atteindrait à cette félicité dont son esprit malade exagérait la magnificence.
– J’aimerais savoir, disait Panazol, ce que feront les routiers. Arnaud de Cervole est leur prisonnier… C’est ce qui se disait à Lyon hier…
– Leur prisonnier ? interrompit Tristan faussement aimable. Je dirais plutôt leur hôte.
Il éprouvait soudain le besoin d’être écouté, soutenu, réconforté par quelques approbations d’où qu’elles vinssent. Si brève qu’eût été son intervention, il eut le sentiment qu’il se hissait dans le respect jusqu’alors plat et contraint de tous les hommes – sauf Panazol.
– Ils ont libéré Tancarville, dit Paindorge. Pas vrai. Callœt ?
Il s’adressait au soudoyer qui avait une feuille (436) en guise d’arme d’haut. Était-ce un ancien boucher ? L’homme approuva sans un mot.
– Et aussi l’Archiprêtre, ajouta Paindorge mécontent du silence de son compère.
Tristan fut envahi d’une gaieté acerbe :
– Arnaud de Cervole est libre ! Voilà ce à quoi je m’attendais. Je dirai un jour au roi ce que je pense de cette bataille et de certains présomptueux qui causèrent, une fois encore, l’infortune des Lis de France… Ou les routiers ont un ressentiment bien léger envers l’Archiprêtre et Tancarville, ou les rançons qui leur furent données sont lourdes 81 !
Mathilde et Panazol avaient échangé un regard. Il signifiait : « Il ne quittera pas ces lieux. » Tristan poursuivit, sans que son dépit fût visible :
– C’est le Bâtard de Monsac qui captura l’Archiprêtre. Je peux dire, Panazol, qu’ils sont amis de longue date et je pourrais jurer que c’est le maréchal d’Audrehem qui acquittera sa rançon… comme il le fit après Poitiers.
– Par la mordieu, c’est ce qu’on prétend ! approuva Paindorge en tendant son hanap au sénéchal pour qu’il l’emplît. Il paraît qu’au lendemain de sa venue à Lyon, quatre jours après la bataille, Audrehem s’est rendu à Brignais pour s’aboucher avec les routiers 82 . Non seulement, il aurait apporté à Cervole sa caution et sa parole, mais encore, de la part du roi, il aurait essayé de conclure un accord définitif.
– Tancarville a déjà obtenu une trêve 83 , affirma Callœt.
Tristan serra les poings de part et d’autre de son écuelle :
– Une trêve !… C’est faiblesse et folie que de faire confiance à ces malandrins. À peine auront-ils reconstitué leurs compagnies qu’ils recommenceront meurtres et pillages ! Peut-être Montaigny sera-t-il menacé… J’accueille, de ce fait, avec un grand plaisir la venue, céans, de cinq hommes adurés aux armes dont l’honnêteté saute aux yeux.
Il leva son hanap et leur porta la santé. Il avait insisté sur leur intégrité en pressentant qu’ils deviendraient ennemis, les pires, pour peu qu’il laissât malencontreusement, ses intentions de fuite, dispositions favorables allait-il lui falloir réunir ! Tout d’abord, il convenait que les routiers quittassent le Lyonnais ; or, ils y semblaient d’autant plus qu’ils avaient taillé en pièces une armée venue les en chasser. Ensuite, il devait se faire une idée exacte des lieux – forêts, rivières, collines entourant Montaigny. Enfin, il importait que la
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