Le poursuivant d'amour
lui, Tristan de Castelreng ? Pourrait-il vivre bientôt l’esprit nettoyé de l’épouvantable souvenir de dix ou vingt mille corps humains agglutinés dans leur sang et celui des chevaux ?
– Je puis vous employer tous les cinq, dit Mathilde au picquenaire barbu. Avec tous ces routiers à l’entour de Montaigny, j’ai besoin d’hommes vaillants et obéissants. Pas vrai ?
Le regard d’intime connivence qu’elle échangea avec Panazol pour obtenir son agrément déplut si fortement à Tristan qu’il s’éloigna de quelques pas en direction de Jean auquel il restitua son arbalète.
« Je ne suis pas jaloux, tout de même ! On est jaloux quand on aime ! »
– Nous acceptons votre offre, noble dame, dit le picquenaire après avoir, d’un coup d’œil, consulté ses compagnons.
– Mon sénéchal vous mènera à l’écurie. Quand vos chevaux y seront à l’attache, il vous montrera votre logis… Ydoine que voilà mettra cinq écuelles de plus à la table du tinel… Et puis non, sept… car vous accepterez, mon époux, de partager le pain avec toute notre mesnie 80 !
Tristan détesta cette voix melliflue et le vous hors de circonstance. La retenue qu’il observa, par courtoisie pouvait exprimer une soumission absolue à son épouse.
Elle signifiait pour lui tout autre chose : une toile d’aragne se tissait autour de lui dont la surveillance exercée sur sa personne, lors de sa chevauchée en compagnie de Mathilde, constituait une preuve manifeste. Mais il était plus fine mouche que Mathilde et Panazol ne le croyaient.
*
Alors que le souper venait de commencer, Tristan fut intrigué par les clatissements de la meute.
– Que signifie ? demanda-t-il à Mathilde.
Elle s’avisa de son sénéchal qui, d’un froncement de son long nez – comme s’il flairait un danger sans conséquence –, lui intima le silence.
– Est-ce que je sais ! fit-elle, excédée qu’il l’eût surprise en grand état d’incertitude et, surtout, qu’il l’eût vue consulter Panazol avant de lui fournir une réponse qu’elle renfonçait, au prix d’un déglutissement pénible, dans sa gorge.
– Comme l’ autre, alors ? conclut Tristan persuadé de lever un lièvre de grosse taille.
Plutôt qu’une colère qu’il ne redoutait pas, il vit s’aggraver la gêne de son épouse. Une brève rougeur, sous ses fards restitués, lui était montée du menton jusqu’aux joues, et si elle se refusait à comprendre son allusion, tous ceux de Montaigny, jusqu’à la grosse Ydoine pétrifiée devant l’être, feignaient si mal la surdité ou l’indifférence qu’il en sourit :
– J’ai compris, dit-il. Si l’on dit « une chienne de vie », l’on peut dire également, « une chienne de mort ».
Le silence lui plut : il avait touché juste. Afin qu’il ne subsistât rien du corps de Salbris, on l’avait offert en festin à la meute. L’armure du défunt, qu’il eût pu réclamer – ce dont il s’abstiendrait –, serait mise en partage… Mais qui avait précédé l’outrecuidant Guillonnet au chenil ? Un amant encombrant ayant assumé la transition entre Henri, le trépassé de Poitiers, et lui-même, Castelreng ?
Il mangea en silence, prêtant peu l’oreille aux parlures des commensaux de Mathilde et des nouveaux venus. Quelque satisfaisant qu’il fut, le trépas de Salbris avait eu pour immédiate conséquence l’augmentation de la garnison du château.
– Comment feras-tu pour entretenir ce supplément de cinq hommes ?
Mathilde sourcilla, dérangée dans un songe. Elle eut un sourire par lequel elle affirmait sur un époux peu amène ce qu’il eût pu appeler la domination de la fortune.
– Puisque nous ne pouvons forniquer à outrance, j’aurai le temps de te montrer un tout autre trésor que mon corps…
Elle eût pu sourire en disant cela ; or, jamais elle ne lui avait paru si sérieuse.
– Sous le lit, j’ai de l’or, de l’argent, des joyaux. Henri, je te l’ai dit, n’avait aucun scrupule. Moutons d’or, deniers d’or à l’aignel, et même des nobles à la rose (435) … J’en vends à des Juifs de Lyon… Si je le voulais, Montaigny deviendrait l’un des plus beaux châteaux du royaume. Je serais courtisée pour cette fortune et menacée à chaque moment du jour et de la nuit… C’est pourquoi je suis ce que je suis… Tu peux juger de ma confiance en toi puisque je te révèle ces choses.
– L’or et l’argent pour moi sont
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