Le poursuivant d'amour
disperser.
« De l’or grappillé chez les bourgeois et les pauvres », songea Tristan, « et rien ne prouve que ces maufaiteurs partiront ! »
– Vous semblez douter qu’ils s’en iront, Castelreng. Peut-être sont-ils déjà loin de ce… ce Poulailler !
– Pontailler, sire… Pardonnez-moi d’avoir des doutes… Je les ai trop approchés… Vous parliez d’aspic ? Tous ont la langue fourchue.
– C’est vrai, grommela Boucicaut, mais, jeune homme, vous connaissez tout aussi bien que moi l’état de notre malheureux pays. Notre seule ressource et notre seule espérance, ce sont ces accords avec ces enfants de Satan. Et, croyez-moi, je préférerais leur courir sus l’épée haute, à l’avant d’une chevalerie bien fournie en prud’hommes et en armes, que d’aller au-devant d’eux avec une écritoire, des tabellions et des clercs !
Le roi acquiesça mollement. Un faible, pénible et tremblant sourire ne rendit que plus ingrate et maussade la physionomie de ce continuel perdant :
– Assez parlé de choses déplaisantes, Castelreng. Au mois d’août, je partirai pour Avignon. Vous m’accompagnerez… Nous serons nombreux… Mon fils redeviendra lieutenant-général du royaume en mon absence… Oui, oui, je sais ce que vous alliez répéter… Nous annulerons ce mariage… Faites-m’y songer quand nous serons devant Sa Sainteté…
Puis, tourné vers Boucicaut, qui sûrement connaissait tous ses desseins :
– Si je le pouvais, je suivrais ces malandrins en Espagne… Je les pousserais jusqu’à Calahora. Quel plaisir j’aurais d’y retrouver Robert le Coq, pour lequel j’ai tant fait et qui m’a tant trahi avec el malo , mon gendre !… Il est évêque en cette ville… Je le ramènerais à l’évêché de Laon et là, je le ferais prendre !… Mais approchez, Boucicaut !… Dites-moi ce que vous pensez de ce donjon…
Tristan devina qu’il ne comptait plus. Il prit congé à reculons. Sitôt hors de la librairie, il exhala un grand soupir.
*
– Comment est-il ? demanda Paindorge sans empressement.
– Pareil à une nef démâtée à l’issue d’une tempête. La carène est encore bonne mais il n’y a rien dedans honnis l’amertume.
– Adoncques, ce n’est plus notre suzerain mais une épave.
Paindorge disait juste. Il avait entrevu le roi lors de son arrivée sous le porche d’entrée de Vincennes. Il s’était étonné qu’il se tînt si mauvaisement en selle sur un coursier noir « fort et courant ». Et de confier à ses compères, sitôt après son passage : « Avez-vous vu, les gars, il monte à la genette 144 ! » Jean II était-il aussi bon chevalier qu’il le voulait paraître ?
– Son La Cerda chéri lui manque toujours, dit Buzet. Il ne se console pas de son trépas. C’est ce qu’on raconte aux quatre coins du château.
De la main, Tristan éloigna les propos du jeune cranequinier : les amours extraordinaires de Jean II le laissaient indifférent, bien qu’à observer si peu que ce fut les façons du roi, il n’avait jamais douté de ce que les malebouches prétendaient. Afin d’éviter quelque désagrément – puisque des gens de toute sorte passaient autour d’eux –, il pria ses compagnons d’éviter les vilipendements à voix haute et leur annonça la nouvelle :
– Au mois d’août, je dois suivre le roi en Avignon.
– Nous irons avec vous, dit Paindorge, assuré de l’acceptation de tous.
– Bien… J’aurai l’occasion de galoper jusqu’au châtelet de mon père… avec vous, évidemment.
– Soit, messire. Et ce mariage ? demanda Callœt.
– Le roi le fera dissoudre par le pape.
– À quoi bon vous soucier du Saint-Père, dit Morsang, un trait de blanc dans sa barbe. Il est déjà dissolu.
– Dissous, pas dissolu… Mathilde était dissolue. Mais que veux-tu dire ?
Il s’était donc passé quelque chose, à propos de Mathilde, dont les cinq hommes n’avaient point tenu à l’entretenir.
– Eh bien, voilà, dit Callœt, mieux vaut que vous le sachiez… Quand on a eu quitté Montaigny, les soudoyers de la dame se sont lancés à notre ressuite… Nous, en chemin, on a entendu ses cris… On l’a trouvée, nue ou presque. Buzet, le seul d’entre nous qui n’en avait pas… tâté en a profité.
Tristan se tourna vers le cranequinier. Il n’était ni fier ni vergogneux de l’acte qu’il avait commis. Une fois de plus, Mathilde s’était montrée hardie,
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