Le Pré-aux-Clercs
ajouta aussitôt :
« Que ne m’avez-vous dit, monsieur, que nous trouverions Beaurevers sur notre route ?
– Pourquoi ? demanda Rospignac, impressionné malgré lui.
– Parce que je vous eusse conseillé de prendre cinquante hommes et non pas douze.
– Oh !… C’est donc le diable en personne, que ce Beaurevers ?
– C’est Beaurevers ! » répéta obstinément Guillaume Pentecôte.
Et comprenant vaguement que cette explication paraissait insuffisante à son maître, il ajouta :
« Beaurevers, c’est un homme comme qui dirait l’ouragan, la tempête, qui brisent et emportent tout sur leur passage. Mais si ses quatre compagnons sont avec lui, alors, monsieur c’est cent hommes qu’il faut compter… Encore, ne peut-on répondre de rien.
– Allons, tu exagères.
– On ne dirait pas, monsieur, que vous avez vu ces hommes à l’œuvre. Jetez un coup d’œil sur l’effroyable besogne qu’ils ont accomplie en un rien de temps… Notez que le plus gros de cette besogne a été fait par Beaurevers seul… Je ne vous en dis pas plus.
– Le fait est que je ne m’attendais nullement à me heurter à ce Beaurevers que j’ignorais… Mais fût-il cent fois plus fort que tu le dis, c’est maintenant une affaire à régler entre moi et lui… Et je te jure que c’est moi qui aurai sa peau !…
Ceci était dit sans colère, avec la froide assurance d’un homme qui a une confiance illimitée en sa propre force. Cela n’empêcha pas Guillaume Pentecôte de dire en hochant la tête d’un air soucieux :
« Vous êtes fort, monsieur… Plus fort que moi, qui n’avais jamais trouvé mon maître avant de vous avoir rencontré. Cependant je vous souhaite de n’avoir jamais à vous mesurer avec Beaurevers. Je vous jure que vous ne pèserez pas lourd entre ses mains.
– En voilà assez sur ce sujet, trancha Rospignac d’un ton sec. Occupe-toi plutôt de voir l’état réel de nos hommes. Mort diable ! Il est impossible que ces braves soient tous morts !
– J’espère bien que non », répliqua Guillaume Pentecôte, qui s’empressa d’obéir.
Pendant que le truand établissait le compte des morts et des blessés, Beaurevers, Ferrière et de Louvre s’avançaient sur le quai des Augustins en devisant tranquillement, comme si rien d’anormal ne s’était passé.
Ferrière avait très bien compris que l’agression à laquelle ils venaient d’échapper n’était pas une vulgaire attaque de détrousseurs de nuit. Il lui apparaissait que ce comte de Louvre, au secours duquel il était accouru, devait avoir quelque ennemi puissant et peu scrupuleux lequel en voulait à sa vie et lui avait tendu une bonne embuscade dans laquelle ils avaient failli laisser leur peau. Naturellement, il garda ses réflexions pour lui, mais comme il s’était pris d’une réelle sympathie pour cet élégant gentilhomme qui sentait si bien son grand seigneur, il s’empressa de lui offrir l’hospitalité, ainsi qu’à Beaurevers.
Et comme le comte déclinait l’invitation en assurant qu’il était indispensable qu’il passât la nuit chez lui, Ferrière s’offrit obligeamment à l’accompagner jusqu’à son domicile. Le comte remercia comme il convenait, mais déclina cette nouvelle offre en disant que la compagnie de son ami Beaurevers suffisait.
Ferrière n’insista pas et complimenta sincèrement :
« Il est de fait que, sous la garde d’une aussi vaillante épée, vous n’avez rien à redouter. Vous pourriez passer à travers une armée.
– Oui, j’ai là une escorte digne d’un roi, telle que n’en a pas notre sire François II lui-même !… Mais je m’en voudrais d’abuser plus longtemps de votre complaisance, vicomte. Vous devez avoir besoin de soins et de repos. Rentrez chez vous et si vous voulez bien le permettre, c’est nous qui aurons l’honneur de vous accompagner jusqu’à votre maison. »
Il fut ainsi fait. Le groupe s’engagea dans la rue du Battoir, prit à gauche la rue de la Rondelle, et vint s’arrêter devant l’hôtel du vicomte. Il y eut force compliments, force protestations d’amitié, sincères de part et d’autre. Après quoi, Ferrière rentra chez lui, de Louvre reprit le bras de Beaurevers et remonta la rue de la Rondelle, qui conduisait, par là, au pont Saint-Michel.
Les deux jeunes gens, qui marchaient maintenant d’un pas allongé, traversèrent la Cité, contournèrent le Grand Châtelet, prirent par la Vallée de
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