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Le Pré-aux-Clercs

Titel: Le Pré-aux-Clercs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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passer cette nuit à dormir… et non à vous enivrer comme de fieffés ivrognes que vous êtes ! »
    La voix était rude, le compliment peu flatteur – adressé surtout à des gens qui se prétendaient anciens gentilshommes de la reine. Mais cela était atténué par le sourire et le regard. Aussi les quatre ne s’y trompèrent pas et montrèrent des trognes illuminées, avec des bouches fendues jusqu’aux oreilles. Il y eut une série de grognements inarticulés, suivis d’une bordée de jurons à faire frémir un corps de garde. C’était leur manière de marquer la joie que leur causait la satisfaction et – pourquoi pas ? – l’affection du maître.
    Et ils s’engouffrèrent en se bousculant dans la grande chambre qui leur servait de dortoir.
    « Il y a du bon ! Rayonna Trinquemaille.
    – Lou pitchoum il est content ! éclata Strapafar.
    – C’est le bon temps qui revient ! » jubila Corpodibale.
    Seul Bouracan ne dit rien. Le colosse paraissait soucieux. Ses trois compagnons surpris de son silence le regardèrent à la dérobée. Et ils échangèrent entre eux des sourires et des haussements d’épaules entendus.
    Tout de suite, ils se mirent à l’œuvre : ils étalèrent sur une table quatre gobelets, des tranches de venaison froide, plusieurs chapelets de pain tendre et une bouteille de vin, une seule bouteille. Et Trinquemaille, qui déposait cette unique bouteille sur la table, expliqua, onctueusement, à son habitude :
    « Pas plus d’une bouteille… à la fois.
    – C’est juré, porco Dio ! appuya énergiquement Corpodibale.
    – Nous sommes gentilshommes, qué !… Et des gentilshommes n’ont qu’une parole, déclara noblement Strapafar. »
    Et ils attendirent ce qu’allait dire Bouracan. Mais Bouracan demeura obstinément muet, si rêveur qu’ils purent se demander s’il avait entendu seulement.
    Les provisions étaient là. Les quatre gobelets remplis à ras bord. Dans l’angle de la cheminée se voyait un vaste panier rempli de flacons de différentes formes et de différentes dimensions. Ces flacons devaient s’en aller, un à un, remplacer le flacon vide au fur et à mesure. Pourtant, chose bizarre, ils ne touchèrent pas aux provisions, ils ne regardèrent même pas les gobelets pleins.
    Ils se mirent tout d’abord à fourbir leurs armes. Et le soin minutieux qu’ils mettaient à cette grave opération indiquait qu’ils sentaient la bataille prochaine. Et leurs trognes hilares indiquaient clairement la joie délirante que leur causait cette agréable perspective. Et ils avaient alors de ces mines terribles, faites pour jeter l’épouvante au cœur des plus intrépides.
    Lorsque les armes furent fourbies à fond, alors seulement ils se mirent à table et commencèrent le massacre des victuailles.
    Pendant ce temps, seul dans sa chambre, le chevalier de Beaurevers se promenait de long en large d’un pas nerveux, réfléchissant. Et le résultat de ses réflexions fut exactement le même que celui de ses compagnons, car il prononça tout haut :
    « Allons, c’est la bataille !… Tant mieux, mille diables ! Je commençais à m’ennuyer, moi ! »
    Il reprit sa promenade, et, en marchant, des bribes de phrases mâchonnées trahissaient sa pensée secrète :
    « Ah ! Madame Catherine, vous vous décidez enfin !… Pardieu ! Mon père, qui ne se trompe jamais, l’avait bien prévu… Vous voulez que votre bien-aimé fils, Henri, soit roi, et vous attaquez l’obstacle, vous commencez à déblayer la route… L’obstacle !… ce pauvre petit roi… un enfant, dont nous ferions un homme, nous… car, chose extraordinaire, inconcevable, ce fils de Catherine de Médicis a des instincts bons, généreux… et qui sait si ce n’est pas pour cela qu’elle le hait ? Ah ! Vous voulez supprimer l’obstacle !… Minute, je suis là, moi !… À nous deux, madame Catherine !… Mais je ne suis pas un oiseau de ténèbres comme vous, moi… L’ombre me répugne… C’est le grand soleil que je recherche, moi… et cette lutte sombre, tortueuse, n’est pas mon fait du tout… Pardieu ! j’irai, pas plus tard que demain matin, j’irai vous dire en face que je vous ai devinée et que vous me trouverez sur votre chemin. Oui, mort Dieu, voilà ce qu’il faut faire… pour commencer. »
    Ayant pris cette décision, Beaurevers se coucha et ne tarda pas à s’en dormir.
    Le lendemain matin, il se présentait au guichet du Louvre. Il entra sans

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