Le Pré-aux-Clercs
Mais il ne laissait pas embarquer. Interpellé, il répondit d’un air goguenard qu’il lui était arrivé un accident, qu’il lui fallait effectuer des réparations urgentes et qu’il en avait bien pour au moins deux heures avant de pouvoir reprendre son service.
Pestant et maugréant, les voyageurs durent en passer par là.
François se montra plus contrarié de ce contretemps que Beaurevers, qui se contenta de dire :
« Nous passerons les ponts, voilà tout. Nous arriverons à temps, c’est l’essentiel. »
Et ils repartirent d’un bon pas vers les quais.
Guillaume Pentecôte ne les suivit pas. Il fit un signe à une espèce de coupe-jarret qui semblait bayer aux corneilles. Et le coupe-jarret se mit à leurs trousses.
Pentecôte se dirigea à grandes enjambées vers un homme qui se promenait mélancoliquement en tirant un cheval par la bride. L’homme au cheval était là pour lui, car dès qu’il le vit s’avancer, il alla à sa rencontre en allongeant le pas. Effectivement, Guillaume Pentecôte laissa tomber quelques mots sur le ton bref du commandement, sauta en selle et, donnant de l’éperon, partit ventre à terre.
L’homme qui promenait le cheval s’élança à son tour. Il eut vite fait de rattraper le coupe-jarret, à côté duquel il se mit à marcher. Et, tout en bavardant, les deux sacripants ne perdaient pas de vue le quatuor qui suivait Beaurevers et de Louvre.
Par le chemin qu’ils avaient pris, les deux jeunes gens devaient passer devant le Châtelet. Ce qu’ils firent en effet. Ils traversèrent le pont au Change et s’engagèrent dans la Cité.
Du haut d’une fenêtre où il s’était posté, Rospignac guettait. Dès qu’il vit qu’ils avaient contourné le monument, il ferma la fenêtre et dit quelques mots à deux personnages qui attendaient dans la pièce. Ces personnages étaient M. de Bragelonne, lieutenant criminel et M. Gabaston, chevalier du guet.
Ils descendirent tous trois dans la cour. Des troupes s’y trouvaient massées. Un lieutenant des gardes du prince de la Roche-sur-Yon s’y promenait d’un air maussade. Le lieutenant criminel et le chevalier du guet allèrent à cet officier et échangèrent quelques brèves paroles avec lui.
Rospignac s’éclipsa.
Les deux jeunes gens n’avaient pas traversé la Cité lorsque les troupes s’ébranlèrent et sortirent du Châtelet.
En tête marchait Bragelonne, suivi de cinquante archers. Ensuite, venait Gabaston suivi de cinquante hommes d’armes à cheval et de cent cinquante à pied. Le lieutenant des gardes fermait la marche, suivi de quatre-vingts gardes. En tout, trois cent trente hommes.
*
* *
Cependant, Beaurevers et François se trouvaient dans la rue Saint-André-des-Arts et s’avançaient vers la porte de Buci. Ils étaient loin de soupçonner quel épouvantable orage s’amoncelait sur leur tête.
Là-bas, loin derrière eux, si loin qu’ils ne pouvaient ni les voir ni les entendre, les trois cent trente hommes d’armes avançaient eux aussi de leur pas lourd et pesant qui faisait trembler les vitraux dans leurs châsses de plomb. Et sur leur passage, les boutiquiers se mettaient sur le seuil de leur porte, les bourgeois passaient le nez à leur fenêtre.
Et à mesure qu’ils avançaient on voyait surgir des individus louches, à faces patibulaires, armés, qui d’immenses colichemardes, qui de bâtons, de piques, de hallebardes, de couteaux. Et cette armée de démons encadrait silencieusement les hommes d’armes, emboîtait le pas.
Et cependant, des rumeurs sinistres circulaient, des grondements sourds roulaient pareils à ces grondements de la rue qui précèdent le coup de tonnerre. C’était la foule, informée on ne sait comment, et qui manifestait ses sentiments hostiles. Parfois aussi quelques cris éclataient :
« Voleurs ! Brigands ! Hérétiques ! Parpaillots ! »
Alors, le lieutenant criminel en tête le chevalier du guet au milieu, le lieutenant des gardes à la queue, se tournaient vers les manifestants, et d’une voix impérieuse ordonnaient :
« Silence ! »
Et la foule se taisait. Une sorte d’instinct mauvais l’avertissait qu’il s’agissait là d’une sorte de battue et qu’il ne fallait pas donner l’éveil au gibier.
Maintenant, Beaurevers et François étaient arrivés rue des Marais. Ils pénétrèrent dans l’avant-dernière maison. C’était, on s’en souvient, la maison qu’habitait Fiorinda.
Beaurevers et
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