Le Pré-aux-Clercs
béante, roulant des yeux effarés. En voyant ces sept hommes en lambeaux, couverts de sang, le front ruisselant, l’épée au poing, avec des visages effrayants, il crut sa dernière heure venue, et en claquant des dents, il joignit les mains dans un geste qui implorait miséricorde.
Beaurevers le rassura :
« Nous ne te ferons pas de mal si tu te tais, dit-il. Si tu ouvres la bouche… »
Il montrait sa dague rouge dans un geste violent si significatif que le pauvre diable, tremblant de tous ses membres, porta ses deux mains à sa bouche pour bien marquer qu’il serait muet.
Ils ne s’occupèrent plus de lui, certains qu’il se tairait. Ils étaient en nage, à bout de souffle les uns et les autres. Ferrière et François se laissèrent tomber sur une poutre et s’épongèrent.
Beaurevers souffla une seconde. Ce fut tout ce qu’il s’accorda, tout ce qu’il accorda à ses quatre fidèles. Ils se mirent aussitôt à l’œuvre. C’est-à-dire qu’ils dressèrent une barricade devant la porte. La besogne était assez facile ; les matériaux, composés en majeure partie de poutres et madriers, ne manquaient pas.
Tout en s’activant, Beaurevers disait :
« Il me semble que ces soldats qui ont surgi si malencontreusement de la rue Saint-Sulpice nous ont adressé la parole… Quelqu’un a-t-il entendu ce qu’ils ont crié ? »
Ce fut François qui répondit :
« Je crois avoir entendu qu’ils nous disaient de ne pas fuir, que c’était nous qu’ils cherchaient.
– Vraiment ! railla Beaurevers. Alors, c’était un défi ?… Eh bien, tudiable, on le relèvera, ce défi !… On se retrouvera, je l’espère, dans des conditions moins inégales… et alors nous verrons s’ils seront aussi braves. »
Il ne leur fallut pas plus d’une minute pour dresser leur barricade qu’ils contemplèrent avec satisfaction. Il était temps d’ailleurs, car les vociférations éclatèrent autour du pilori.
Ils s’attendaient à entendre les coups ébranler la porte. Beaurevers déclara :
« La porte tiendra, j’en réponds… à moins qu’ils ne se procurent des pétards comme ils ont trouvé de la poudre. Même dans ce cas, tout ne sera pas dit, car nous pourrons nous réfugier là-haut. En attendant, nous allons leur tailler des croupières. »
Il mit le pied sur l’échelle qui conduisait au premier. C’était là qu’on exposait les malheureux condamnés par la justice de l’abbé. Cet unique étage était peu élevé et Beaurevers avait tout de suite vu que là il lui serait facile d’interdire l’approche de la porte en assommant ceux qui tenteraient la manœuvre. Car, heureusement, les projectiles de toutes sortes ne manquaient pas.
Il mit le pied sur le premier échelon. Groupés derrière lui, les autres s’apprêtaient à le suivre.
Il ne monta pas. Il demeura immobile, l’oreille tendue. Et ils firent comme lui.
L’attaque attendue ne se produisit pas. Les clameurs, les vociférations qui avaient signalé l’approche de la bande de Guillaume Pentecôte s’arrêtèrent brusquement. Ils sentaient bien que la foule était massée autour des quatre murs qui les abritaient. Mais cette foule s’était immobilisée tout à coup, comme clouée sur place par la vue de quelque spectacle inattendu – de quelque menace peut-être, ils ne savaient pas – et un silence énorme s’était abattu sur elle.
Silence de stupeur ?… Silence d’effroi ?… Ils cherchaient vainement à deviner.
Agacé, Beaurevers franchit deux échelons. Et il n’alla pas plus loin. De nouveau, il s’immobilisa.
Aussi soudainement qu’il s’était produit, le silence fut presque aussitôt rompu. Mais cette fois ce ne furent pas des cris et des clameurs qui éclatèrent. Ce fut quelque chose d’impressionnant, d’effarant dans son imprévu.
Un chant large, doux, infiniment harmonieux, qui dans sa majestueuse simplicité avait on ne sait quoi de poignant qui vous tordait les entrailles et vous étreignait à la gorge. Et ce chant religieux, entonné par de nombreuses voix mâles, faible d’abord comme un murmure, enfla, s’éleva, éclata dans un crescendo final d’une ampleur et d’une vigueur extraordinaires.
Sous le charme, ils tendaient l’oreille, écoutaient avidement, tous sous le coup d’une émotion intense, mais très douce. Tous, même la brute apeurée qui s’était tapie dans un coin et qui en oubliait pour un instant la terreur que lui avaient inspirée ces
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