Le prince des ténèbres
l’ai pas laissé entrer.
— Quand était-ce ?
— Pourquoi ? Le connaissez-vous ?
Corbett se contenta de hocher la tête et regarda la prieure quitter le choeur de sa démarche princière. Ce n’est qu’alors qu’il se permit un petit sourire. Bien sûr qu’il le connaissait ! Son vieil ennemi, ce fourbe d’Amaury, seigneur de Craon, avait fourré son vilain nez dans une affaire qui ne le concernait en rien.
— Oh, Messire !
Il leva les yeux. La prieure était revenue sur ses pas et se tenait sur le seuil de la clôture.
— Oui ?
— Le père Reynard… il était près du couvent le soir de la mort de Lady Aliénor. Tous les dimanches soir, en expiation de ses péchés, il parcourt pieds nus le sentier qui va du village à la porte de Galilée.
Elle sourit.
— Demandez-lui s’il a vu quelque chose de suspect en récitant ses psaumes !
Et avant que Corbett réponde, elle tourna les talons et sortit de la chapelle, visiblement très agitée.
CHAPITRE V
Ranulf et Dame Agatha l’attendaient près de la porte de Galilée, la religieuse se divertissant fort, apparemment, au récit d’un des nombreux exploits londoniens du jeune homme.
— Sommes-nous prêts, Ranulf ? Et vous, ma soeur ?
Son serviteur acquiesça, l’air renfrogné, puis se montra très prévenant pour aider la religieuse à se mettre en selle en déplorant, entre ses dents, la fâcheuse habitude qu’avaient certains clercs d’arriver au moment où leur présence était le moins souhaitée. Corbett se contenta de lui adresser un sourire narquois et ils s’engagèrent, à sa suite, sur le chemin menant au village de Woodstock. Le clerc fut tenté, un instant, de traverser le bourg pour aller voir le prince au palais, mais, compte tenu de ce qu’il venait d’apprendre, il jugea préférable de remettre cette visite à plus tard.
C’était une belle journée. Suivi d’un Ranulf qui chantonnait des couplets grivois, Corbett apprécia fort cette tranquille chevauchée sur le sentier serpentant sous la voûte verdoyante des arbres. Le soleil d’automne éclairait la campagne paisible et le silence n’était rompu que par les trilles des oiseaux, les stridulations des insectes et le sonore bourdonnement des abeilles en quête de pollen. Élégante en son habit marron clair de cavalière, Dame Agatha montait en amazone un petit cob docile appartenant au prieuré. Corbett avait délibérément donné un tour désinvolte à la conversation pour la mettre à l’aise et la rassurer.
Ils atteignirent le village et se joignirent à la foule qui se hâtait vers le pré communal devant l’église paroissiale. Des paysans endimanchés et arborant foulards, rubans et dentelles dansaient et cabriolaient autour de chevaux grossièrement taillés dans du bois, tandis que résonnaient, entre autres, cornemuses et tambourins. Corbett et ses compagnons s’arrêtèrent un peu pour les regarder, puis le clerc aida Dame Agatha à mettre pied à terre. Elle montra une grande bâtisse à un étage, située de l’autre côté du pré.
— J’ai affaire avec le marchand qui importe notre vin, déclara-t-elle. Je vous retrouverai à l’église.
Corbett acquiesça et ordonna à Ranulf d’escorter la religieuse. Ensuite, il se rendit au Taureau où il laissa les chevaux à l’écurie et alla s’asseoir sur un des bancs extérieurs. Là, il commanda du levequin et se laissa, un moment, bercer par la caresse du soleil. Puis, regardant l’église et se rappelant le sermon du père Reynard, il poussa jusqu’au cimetière dont il ouvrit la porte à claire-voie. C’était un endroit calme, étonnamment bien entretenu : l’herbe était fauchée et les ormes vigoureux soigneusement taillés. Passant devant l’église, il gagna le presbytère et frappa doucement à la porte entrebâillée.
On parlait à l’intérieur et soudain le père Reynard apparut.
— Entrez ! Entrez ! dit-il avec un sourire spontané et chaleureux.
Il désigna un banc à Corbett avant de revenir à la table où se trouvait un grand livre relié de cuir qu’il se mit à consulter en compagnie d’un jeune villageois. Corbett parcourut la pièce du regard. Un presbytère tout simple : deux salles en bas et peut-être deux chambres en haut, un sol de terre battue, des murs chaulés pour éloigner les mouches, un âtre de grosses pierres… Apparemment, les biens du franciscain se résumaient à quelques meubles, des coffres et des ustensiles de
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