Le prince des ténèbres
frapper !
Du revers de la main, elle lui effleura délicatement la joue. Corbett rougit et se remit à manger, muet, sans oser lever la tête jusqu’à ce qu’il entendît son pas léger décroître et la porte se refermer. Il était certes touché par sa sollicitude angoissée, mais trouvait difficile de l’accepter. Il se sentait à la fois coupable en pensant au doux visage de Maeve et rempli de confusion à l’idée d’être si fortement attiré par une femme qui avait voué sa vie à Dieu. Cela dit, elle lui avait donné un fort bon conseil et Corbett se rasséréna. Il décida de montrer qu’il n’avait pas peur, mais sans rien faire d’irréfléchi. Gaveston était le favori d’un prince de sang et le seul fait de tirer l’épée en présence du prince héritier pouvait être interprété comme un acte de trahison.
Mâchant distraitement son pain, Corbett analysait la situation. Ses études de logique lui avaient appris à atteindre une conclusion acceptable en réexaminant les différents points qui y menaient. Comment procéder à présent ? Le sourire aux lèvres, il alla chercher la sacoche que Ranulf avait dissimulée sous le lit et tourna et retourna, amusé, les ingrédients qui constituaient le fonds de commerce de Ranulf. Il prit un pot d’onguent, descendit les marches et gagna le corps de logis. Personne à l’horizon ! Il se faufila silencieusement dans l’escalier et frappa doucement à la porte de Dame Élisabeth.
— Entrez ! Entrez !
La vieille dame, au tempérament toujours aussi impérieux, fut visiblement amadouée par l’apparition de Corbett et reçut son cadeau avec un plaisir évident.
— C’est un baume très rare ! assura Corbett sur un ton de connivence.
Seigneur, songea-t-il, que contient-il ? Ranulf était inoffensif, certes, mais le baume peut-être pas !
— C’est une pommade, avança-t-il, fabriquée à partir de sabots d’élan et mélangée à des herbes médicinales. Enduisez-en les quatre colonnes de votre lit tous les soirs. Cela chassera les humeurs malignes, vous respirerez mieux et dormirez comme un loir !
La religieuse hocha la tête d’un air entendu et Corbett eut un peu honte de ses affabulations. Il plaça l’onguent sur la table près d’elle et alla à la fenêtre. Il observa la cour en bas.
— Que regardez-vous, Messire ?
— Je me souviens simplement que Dame Martha et vous aviez aperçu Lady Aliénor le soir de sa mort. Êtes-vous sûre que c’était bien elle ?
— Oh oui ! affirma Dame Élisabeth en mâchouillant ses gencives. Écoutez ! Dame Martha se tenait là où vous êtes. Elle m’a appelée et me l’a montrée. « Venez voir, a-t-elle dit, c’est Lady Aliénor ! »
— Quand était-ce ?
— Oh, juste avant complies !
— Et que s’est-il passé ensuite ?
— Nous avons frappé à la croisée et interpellé Lady Aliénor. Elle s’est retournée et nous a fait un signe de la main.
— Avez-vous entendu sa voix ?
— Oui. Dame Martha a ouvert la fenêtre et lui a demandé où elle se rendait. Lady Aliénor a répondu qu’elle allait se promener derrière l’église.
La religieuse plissa les yeux.
— Elle faisait toujours une promenade là-bas.
— Vous êtes certaine que c’était elle ?
— Bien sûr !
— Que portait-elle ?
— L’une de ses robes bleues. C’était sa couleur préférée.
— Mais vous avez bien distingué ses traits ?
— Oh oui ! Elle avait son capuchon, mais elle s’est retournée pour nous répondre.
— L’avez-vous vue revenir ?
— Non, mais elle a dû rentrer, bien sûr !
Corbett se sentit un peu frustré.
— Messire Corbett !
Il fit volte-face. Dame Amelia, accompagnée de ses sempiternelles acolytes, Dame Frances et Dame Catherine, se tenait sur le seuil, frémissante d’un juste courroux.
— Vous avez beau être au service du roi, Messire, vous n’avez aucun droit d’être ici, dans ce logis conventuel ! Même si c’est avec une femme âgée que vous vous entretenez.
Elle jeta un coup d’oeil méprisant à Dame Élisabeth.
— Dame Élisabeth est mon amie, rétorqua Corbett. Je suis homme d’honneur autant qu’émissaire royal.
Il sentit la moutarde lui monter au nez devant l’air d’indignation vertueuse arboré par la prieure.
— Je quitterai cette pièce quand j’en aurai fini. Et, ma mère, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’attendre dans vos appartements. J’ai
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