Le prince des ténèbres
court et emplumé, encore fiché dans la poitrine du franciscain.
— Que Dieu ait son âme ! murmura le clerc. Est-ce moi qui suis le responsable ?
Il contempla les traits paisibles du prêtre.
— Pourquoi n’êtes-vous pas parti ? murmura-t-il. Pourquoi n’avez-vous pas fui quand je vous le disais ?
— Messire, remarqua Ranulf à voix basse, l’assassin devait être tout près ! Le carreau s’est enfoncé très profondément.
— Etrange ! l’interrompit Maltote qui, le visage creusé et blême, fixait la sanglante blessure béante. Etrange ! L’assassin devait être couché par terre ou le père Reynard se tenir debout sur des marches. Regardez ! Le carreau a été tiré de bas en haut.
Corbett examina la plaie et confirma cette hypothèse. Le carreau faisait bien un angle.
— Le père Reynard a-t-il été retrouvé dans le cimetière ? demanda-t-il à la villageoise aux cheveux gris.
Elle fit signe que oui en refoulant ses larmes. Corbett fouilla dans son aumônière et lui tendit quelques pièces.
— Faites-lui honneur, dit-il. C’était un homme de bien, un prêtre dévoué. Il ne méritait pas cette mort.
Ils sortirent dans le cimetière. À la demande de Corbett, un vieillard les conduisit à l’endroit souillé de sang où on avait découvert le franciscain. Entouré de Ranulf et de Maltote, le clerc se mit à arpenter la terre argileuse, molle et humide.
— Regardez, Messire ! Ici !
Ranulf s’accroupit et désigna une petite empreinte de botte.
— On dirait une botte d’enfant ! murmura-t-il. Mais quel enfant porte des bottes dans un village de l’Oxfordshire ?
— Cela aurait pu être une femme ! intervint Maltote.
Corbett lui jeta un coup d’oeil et hocha la tête. Une vague idée commençait à se faire jour dans son esprit.
— L’assassinat du père Reynard, décida-t-il, est horrible, mais sa solution peut attendre. Venez ! Nous avons une longue route à parcourir.
Moins d’une heure après, ils étaient en pleine campagne et suivaient le chemin qui aboutissait à l’ancienne voie romaine. La belle journée d’automne tirait à sa fin. Corbett laissa un peu souffler les chevaux. Ranulf et Maltote, tout à leurs pensées et à leur conversation, le laissèrent prendre de l’avance. Le clerc aspirait à la sérénité et au calme après l’émotion causée par la mort du père Reynard. Il se félicitait d’être délivré de Godstowe et de la menace silencieuse et tenace qui semblait y flotter comme une puanteur malfaisante. En outre, il aimait cette saison et se rendait compte à quel point il lui tardait de retrouver Maeve et la paix de son manoir. Là-bas aussi, les feuilles devaient revêtir leur parure d’or rouge, et les fumées de charbon de bois emplir l’air de leur odeur légère. Son épouse se trouvait-elle dans les champs, comme lui, en train de goûter les ultimes feux d’une arrière-saison qui n’en finissait pas ?
Ils laissèrent derrière eux les collines fortement boisées d’Oxford pour revenir en rase campagne. Corbett mit pied à terre pour observer des laboureurs qui rentraient les dernières récoltes. Dans un champ voisin, un autre vilain, serrant un panier contre lui, semait les graines porteuses de vie, tandis que deux gamins le suivaient en sautillant et en faisant les pitres, chassant de leurs frondes tournoyantes les freux et les corneilles avides. Un chien hurla au loin et Corbett frissonna. Il se souvint de cette poursuite hallucinante dans la campagne de Woodstock et se mordit les lèvres de désespoir. Il n’avait pas encore trouvé le moyen de résoudre l’énigme à laquelle il était confronté. Des morceaux du puzzle manquaient. Pourquoi Lady Aliénor avait-elle préparé ses sacoches de voyage ? Qui était son admirateur ou ami secret ? Était-ce pour le rejoindre qu’elle fuyait ? Corbett cligna des yeux. Il était recru de fatigue. Il lui fallait démêler cet écheveau et suivre chaque fil jusqu’au bout.
Ranulf, derrière lui, éclata de rire et Corbett se retourna. Le crépuscule tombait, la brise fraîchissait. Ils devaient presser l’allure. Corbett regretta de ne pas être déjà dans sa chambre au manoir de Leighton, avec Maeve à ses côtés. Il écouterait son doux badinage avant de gagner son cabinet secret et de noter toutes ces questions épineuses. Il sourit à Ranulf.
— Allez ! cria-t-il. Hâtons-nous jusqu’à la prochaine taverne, histoire de boire et de
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