Le prince des ténèbres
mentait.
— Vous voulez des remèdes ?
D’un geste élégant, il désigna un siège à Corbett avant de disparaître dans l’arrière-boutique et d’en revenir avec deux coupes en cristal pleines de jus de fruits glacé. Il en offrit une à Corbett avant de s’asseoir en face de lui, sirotant la boisson comme s’il avait tout son temps. Corbett goûta la sienne avec prudence. Il avait pris la mesure de l’homme : certes, il ne le connaissait ni de nom ni de réputation, mais était sensible à l’atmosphère de dépravation qui flottait autour de lui. Oh ! il était bien médecin, apothicaire, mais également empoisonneur. Corbett n’en avait pas la preuve, mais il reconnaissait ce genre d’individu qui pouvait concocter de subtils élixirs capables d’envoyer ad patres un homme ou une femme sans laisser de traces !
César posa sa coupe sur le sol.
— Allons, Messire, lança-t-il d’une voix énergique, qu’est-ce qui vous amène ?
— Vous m’avez été recommandé, répondit Corbett sèchement.
Il esquissa un sourire, les yeux plissés.
— Vous êtes un gentilhomme, vous comprendrez que je ne vous donne pas de noms. Je suis marié et mon épouse m’a été infidèle.
Il surprit une lueur d’amusement dans le regard de son interlocuteur.
— Pas pour la première fois ! s’empressa-t-il d’ajouter. Je suis un homme d’honneur. Je ne peux ni divorcer ni avouer que je suis cocu et être ainsi la risée de mes tenanciers et de mes amis. Pour elle, j’ai dépensé sans compter et je l’ai comblée de richesses ; je l’ai suppliée de ne pas me tromper.
— Mais elle ne tient pas parole !
L’apothicaire se pencha vers lui, comme un prêtre prêt à entendre une confession.
— Et maintenant, Senhor, vous désirez prononcer la sentence ?
— Oui. Je veux une poudre, une potion qui la tuera non pas immédiatement, mais à la longue, et qui ne pourra être détectée ni par un médecin ni par elle.
— Senhor, cela sera cher !
Corbett s’enquit du prix et réprima sa stupéfaction. Cela équivalait à presque tout l’argent qu’il avait sur lui, et pour seulement la moitié d’une once ! Il accepta néanmoins. L’apothicaire disparut dans l’arrière-boutique et en ressortit quelques minutes après, avec un petit sac en cuir qu’il tendit à Corbett avec un sourire.
— Vous pouvez y goûter, Senhor. Cela ne vous fera aucun mal. Ce n’est pas plus dangereux que de la craie. Mais si vous en absorbiez régulièrement…
Il haussa les épaules.
Corbett prit la poudre et lui compta les pièces. Il en avait pour son argent. La poudre, il la jetterait, mais les renseignements fournis par l’empoisonneur étaient, eux, sans prix.
CHAPITRE XI
Corbett sortit de l’inquiétante échoppe et, sans un mot, regagna la rue où débouchait Faltour’s Lane.
— Messire !
Corbett se retourna :
— Qu’y a-t-il, Ranulf ?
— Quand vous étiez chez l’apothicaire, je pense qu’on nous surveillait. Pas un vaurien quelconque, quelqu’un d’autre !
Corbett jeta un coup d’oeil à la ronde. Ils étaient revenus sur la large chaussée de Holborn, noyée d’ombre. Les étals avaient disparu, les éventaires étaient fermés. Des habitants avaient même accroché à leurs demeures des lanternes de corne et, derrière leurs grilles de fer protectrices, les pauvres chandelles tremblotaient dans la brise du soir. Deux jeunes garnements passèrent en courant et en criant à tue-tête. Un mastiff à la gueule sanglante, attaché par une chaîne au linteau d’une porte, leur montra les dents en aboyant. Àl’étage d’une maison, une femme chantonnait doucement une berceuse. Corbett ne vit rien de suspect.
— Tu en es sûr ? demanda-t-il. Maltote, as-tu remarqué quelque chose ?
Le sergent d’armes eut l’air inquiet, mais fit signe que non.
— À un moment, j’ai cru qu’on nous suivait quand nous nous sommes rendus chez l’apothicaire, mais ce n’était qu’un enfant.
Deux gamins, le visage dissimulé sous leurs capuchons, foncèrent près d’eux en tapant dans une vessie de porc.
— Il n’y a rien, murmura Corbett. Rien du tout !
Ils remontèrent Holborn, traversèrent le pré communal qui, plongé dans l’obscurité, s’étendait devant les anciens remparts, puis pénétrèrent dans le quartier pestilentiel de Newgate avant de redescendre vers Cheapside. Ils s’arrêtaient de temps à autre pour observer les environs, mais
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