Le Prince Que Voilà
ligueux, lesquels s’étaient fort encharnés à sa perte, pour
ce qu’ils le tenaient pour le seul soutien ferme du trône, s’était retiré au
château de Saint-Germain-en-Laye, accompagné de pas moins de quatre cents
arquebusiers, soit pour y guérir, soit tout le moins pour y mourir en paix.
J’y fus et trouvai le Duc, par le
fait, amaigri et affaibli, et souffrant d’un mal de gorge chancreux, lequel je
découvris soigné par deux grands ânes de médecins qui lui avaient imposé depuis
deux mois la saignée, la diète, la purgation et l’immobilité, curation dont je
dis au Roi, le soir même, qu’elle réduirait sous peu le Duc à l’état de
squelette, si elle était continuée.
— Pour moi, ajoutai-je,
j’attenterai de redonner santé et vigueur au Duc par d’autres moyens, à la
condition que ces pédants crottés soient incontinent renvoyés.
Ce que fit le Duc, sur le conseil du
Roi, et bien il s’en trouva, pour ce qu’ayant supprimé de prime la purgation
pour ce qu’elle torturait inutilement ses boyaux vides, le patient étant à la
diète, je supprimai celle-ci aussi, nourrissant le Duc d’aliments liquides
qu’il pût entonner. Me ramentevant alors combien mon père abhorrait la saignée,
laquelle un charlatan avait importée d’Italie et en France imposée sous le sot
prétexte que plus on tire de l’eau trouble d’un puits, plus elle redevient
claire, j’ordonnai qu’elle fût discontinuée. Et prenant tout à plein le
contrepied de l’ancienne curation, je conseillai au Duc de branler de son
fauteuil, de marcher, d’exercer son corps. Ce que, ses forces revenant avec la
nourriture que je lui donnai, il fit d’autant volontiers qu’ayant une
complexion excessivement vive et robuste, il ne pouvait souffrir le repos qu’on
lui avait imposé. Pour sa gorge, je me contentai, comme j’avais fait pendant le
voyage de Guyenne, de gargarisations d’eau bouillue et salée aux matines, à
midi, aux vêpres, après chaque repue. Mais, observant que ce remède soulageait
le Duc sans vraiment le curer, comme je voyais que, d’un autre côtel, il redevenait
chaque jour plus gaillard, j’attentai de lui cautériser au fer rouge les
chancres que je lui voyais dans la gorge. Ce que je fis fort légèrement, mais à
plusieurs reprises, et à ce que je cuide, avec quelque succès ; car de ce
jour, le Duc commença à se rétablir, et par le début de juillet, il était tout
à plein guéri.
Pendant ces deux mois, je vis le Duc
quasi quotidiennement et quoique fort assidu à ma curation, tant pour sauver la
vie de mon patient que parce que je cuidais cette vie-là extrêmement utile au
service du Roi, je n’aimais pas davantage sa personne, y ayant en elle une
hautesse qui me rebutait, encore que je visse bien qu’elle se trouvait liée à
une fermeté d’âme tout à plein admirable et qui était si profondément ancrée en
sa complexion que, même à son Roi et souverain, Épernon présentait un
inflexible front.
Quéribus me conta à ce sujet que
dans le premier temps de sa jeune faveur, Épernon s’étant présenté à Henri le
pourpoint quelque peu déboutonné, le Roi, qui se piquait d’étiquette, l’en
avait vertement tancé. À quoi, s’inclinant, mais sans dire mot ni miette,
Épernon avait tourné les talons, et retournant chez lui s’était mis incontinent
à ses bagues pour quitter le jour même la Cour, ce qu’apprenant le Roi, il
l’avait tout de gob envoyé quérir pour le prier de se réconcilier à lui.
Quant à sa corporelle enveloppe ou
sa guenille, comme eût dit la maréchale (qui ne faillait pas cependant de la
bien nourrir de boudin et d’andouillette) elle me parut exceptionnellement
forte et résistante et à voir la rapidité avec laquelle mon patient recouvrait
la santé dès lors que les médecins ne la détruisaient plus, j’opinais qu’il
était bâti à chaux et sable, et fait pour vivre un siècle.
Il me voulut donner une bonne somme
de deniers pour le prix de ma curation, laquelle je refusai, disant que je
l’avais soigné sur l’ordre du Roi, étant aux gages de Sa Majesté. Ce qu’oyant
le Duc, et sentant bien qu’il y avait aussi quelque hautesse en ce refus, il me
dit avec un sourire (pour ce qu’il était fort charmant, dès qu’il le voulait)
que le chevalier de Siorac était maintenant son ami, et ne pouvait qu’il
n’acceptât de sa main un assez joli diamant et aussi un assez beau cheval qu’il
avait en ses
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